Lecture des propositions 5.5 à 5.5571 – comment des propositions peuvent être construites

Cette section poursuit la réflexion sur la « forme générale de la proposition », entamée en 4.5 (et définie alors comme «  la description des propositions d’une langue symbolique quelconque »), poursuivie tout du long de la section 5, et qui aboutira aux conclusions finales énoncées en 6 : la forme générale de la proposition, c’est la forme générale de la fonction de vérité, la forme générale selon laquelle toute proposition sensée est construite (comme résultat d’opérations successives sur des propositions élémentaires), et cela délimite tout ce qui peut être pensé et dit (l’enjeu du TLP posé tel qu’il est posé dès l’avant-propos).

Tout langage consiste à énoncer « il en va ainsi et ainsi / ce qui a lieu est ainsi et ainsi » (4.5), à former un « fait » structuré (ce qui est dit / pensé), une « image » qui prétend correspondre à un autre fait structuré (ce qui est décrit du monde – cf. « théorie l’image »), et qui est par là susceptible d’être vraie ou fausse.

Les propositions du langage sont avant tout des propositions « complexes », qui combinent des propositions plus simples, et même « élémentaires », via des connecteurs / opérateurs logiques, en nombre fini, et dont la vérité dépend – est « fonction » – du résultat de ces opérations effectuées sur ces propositions élémentaires (ces résultats se calculent dans des « tables de vérité »).

1. Toute fonction de vérité est le résultat de l’application (répétée) de la négation conjointe à des propositions élémentaires (5.5-5.503)

5.5 – 5.503 : on peut se représenter n’importe quelle fonction de vérité (et donc engendrer n’importe quelle proposition complexe) comme étant le « le résultat d’applications successives de l’opération : (- – – – – V) (ξ,…..) à des propositions élémentaires. »

Les prop. 5.0 explicitent cette notation.

ξ (xi, xsi) : variable dont les valeurs sont les termes de l’expression (les propositions considérées)

ξ (avec barre supérieure) : totalité des valeurs, autrement dit des propositions élémentaires considérées (par ex. P, Q, R).

Peu importe comment sont décrites ces valeurs (W. en indique 3 : énumération directe, via une fonction fx, via une « loi formelle » définissant une « série de formes » (par récurrence).

De son côté, (- – – – – V) exprime la dernière colonne d’une table de vérité, issue de l’opérateur de double négation (ni-ni, négation conjointe, barre de Scheffer) appliqué à ξ.

Pour (ξ,…..) valant deux propositions élémentaires (p,q), on aura, pour la 1e application de la négation conjointe : (FFFV). (cf. 5.51)

Pour (ξ,…..) valant trois propositions élémentaires (p,q,r), on aura : (FFFFFFFV), et ainsi de suite.

5.502 simplifie encore la notation : remplace « (ξ,…..) » par ξ (avec barre supérieure), et « (- – – – – V) » par « N ».

L’opération de négation conjointe (N) pouvant remplacer tous les connecteurs logiques, l’application successive / répétée de la négation conjointe aux deux propositions considérées permet de former toutes les combinaisons exprimables concernant p et q, toutes leurs fonctions de vérité, telle qu’on en trouve la liste en 5.101 : 16 au total, 14 pourvues de sens (polarité vrai / faux) + la tautologie et la contradiction.

Ainsi, pour [p,q] :

  • 1e application : N(p,q), i.e. ~ p ∧ ~ q – Ni p ni q. (FFFV) ; notons ce résultat « r ».
  • 2e application : N(N(p,q)), i.e. ~ (~ p ∧ ~ q) – Non (ni p ni q), i.e. p ∨ q – p ou q ou les deux – disjonction non exclusive (VVVF) ; notons ce résultat « s ».
  • 3e application : non pas appliquée au résultat de 2 (sinon retour à 1), mais conjointement aux résultats 1 et 2, donc N(r,s) = N(N(p,q), N(N(p,q))) – contradiction (FFFF)
  • 4e application : négation du résultat de 3, donc N(N(N(p,q), N(N(p,q)))), donc tautologie (VVVV)
  • la suite se complique…, mais Anscombe la parcourt en entier (133-134).

Cette expression permet donc de et suffit à représenter comment des propositions peuvent et ne peuvent pas être formées : la limite du sensé / insensé, dicible / indicible, et comme le dira 5.511, ce qui « embrasse toute chose et reflète le monde (…), un filet [ou réseau : netzwerk] infiniment fin, au sein du grand miroir [Spiegel] ».

Est ainsi atteint l’objectif central du TLP : délimiter le pensable / dicible / sensé.

6.341 reprendra et développera la métaphore du « filet » (réseau) : « Aux différents réseaux / filets correspondent différents systèmes de description du monde ».

6.13 reprendra la métaphore du miroir et du reflet : « La logique n’est point une théorie, mais une image qui reflète le monde. » Cf. déjà en 4.121 : « La proposition ne peut figurer la forme logique, elle en est le miroir. »

2. La négation conjointe (5.51)

Si ξ n’a qu’une valeur (1 seule prop. élémentaire, disons p).

Alors N(ξ) = non-p

Si ξ a deux valeurs (2 prop. élémentaires, disons p et q).

Alors N(ξ) = non-p et non-q (donc, ni p ni q)

5.512 : Le signe de négation n’a pas de sens en lui-même, il est seulement une des manières de noter « ce qui est commun à tous les signes de cette notation qui nient p »

Autrement dit : « non-p » équivaut à « non-non-non-p », à « non-p ou non-p », à « non-p et non-p », et à une infinité d’autres notations.

« Il ne pleut pas » = « il ne ne ne pleut pas » = « il ne pleut pas ou il ne pleut pas ou les deux » = « il ne pleut pas et il ne pleut pas », etc.

5.513 : « ce qui est commun » ou non entre propositions (ce qui est commun entre classes de symboles)

Deux propositions sont « opposées » – l’une est la négation de l’autre – lorsqu’elles n’ont rien en commun, quand « il n’y a pas de signe qui les affirme simultanément » (Carnets, 3/5/15), quand elles sont « complètement extérieures l’une à l’autre » (= les deux classes de signes qui les affirment sont complètement extérieures l’une à l’autre).

Par ex. « p et q » est l’opposée de « ni p, ni q » : elles ne disent rien en commun  (à la différence de « p ou q » (ou les deux) qui a affirme quelque chose en commun avec « p et q »).

« à chaque proposition correspond une seule négation, parce qu’il n’y a qu’une seule proposition qui lui soit complètement extérieure », et ce bien qu’il y ait une infinité de notations possibles et équivalentes de cette unique négation.

Anscombe démontre ce point par l’absurde :

  • supposons que p puisse avoir 2 négations distinctes (du point de vue du sens) : non-p(1) et non-p(2)
  • ces 2 propositions étant supposées distinctes, nous devons admettre que l’une puisse être fausse alors que l’autre est vraie
  • supposons que non-p(1) soit vraie alors que non-p(2) soit fausse
  • si non-p(1) est vraie alors p est fausse, mais alors p ou non-p(2) serait fausse et non une tautologie.

Mais une fois la notation fixée, les règles de formation des prop. sont également fixées de manière déterminée (5.514).

5.515 : « Il doit se montrer dans nos symboles… »

Les symboles indiquent d’eux-mêmes leur type (≠ Russell).

5.5151 : retour sur le statut de la négation.

Simplification extrême de la théorie de la proposition : on a seulement besoin de deux opérations, la négation et la conjonction.

Celles-ci peuvent être définies ainsi :

  • négation : inversion du sens d’une image (la même image mais « inversée » dans sa projection au monde, changement de « polarité »)
  • conjonction : jonction de deux images, affirmée conjointement.

Penser ou dire quelque chose de sensé à propos du monde peut toujours être résumé au fait de joindre et de nier des « images ».

Elimination des prétendues « constantes » logiques : les deux quantificateurs, l’identité. Pas besoin de leur faire une place ici : la « forme générale de la proposition » est suffisante, et c’est ce que vont montrer les prop. suivantes.

3. Sur la généralité, la notation du général (5.52)

Qu’est-ce qu’une proposition générale, voire entièrement générale ? C’est une proposition énoncée pour toutes les valeurs possibles d’une variable / argument. Les quantificateurs (existentiel et universel) expriment la « quantité » d’un jugement.

La généralité est assimilée par Wittgenstein à une série de conjonctions et de disjonctions.

Par ex. ∀x(fx) est assimilée à la série indéfinie fa ∧ fb ∧ fc, etc. (produit logique)

De même, ∃x(fx) est assimilée à fa ∨ fb ∨ fc, etc. (somme logique)

5.523 – « La notation du général s’introduit comme argument. »

C’est sous la forme du « x » mis comme argument dans (x)fx par ex.

Marion (124) : « Wittgenstein lie l’essence de la généralité avec la variable et non pas avec les quantificateurs (5.521) »

5.524 – « Si les objets sont donnés, alors nous sont du même coup donnés tous les objets. »

Black : Il n’y a pas de « fait général » (qui serait comme un « super-fait », en plus des faits atomiques) ; parler de « tous » les objets (ou de « tous les hommes), ce n’est rien de plus que de parler de chaque objet particulier (ou homme particulier).

Cf. déjà les Carnets, 11/7/16 : il y a « unité des propositions élémentaires et des propositions générales »

5.525 : Critique de Russell et de sa conception de la modalité (possible, impossible, nécessaire).

« La certitude, la possibilité, ou l’impossibilité d’une situation ne s’expriment pas au moyen d’une proposition, mais par ceci qu’une expression est une tautologie, une proposition pourvue de sens ou une contradiction. »

1er cas : tautologie / nécessité

2e cas : contradiction / impossibilité

3e cas : pourvue de sens / possibilité

Rossi : « La possibilité n’indique pas une qualité des choses, c’est pourquoi elle ne peut s’énoncer, elle se montre dans la forme logique. » (41)

Anscombe : « ‘p is possible’ is not a picture of a state of affairs. (…) the logical possibility of p is one of those things that cannot be asserted, according to the Tractatus, but that ‘shew’.» (81)

5.526 : description complète du monde

Granger : «  une description du monde peut être donnée complètement sans même que soit assignée la description des objets particuliers » (54)

Qu’est-ce qu’une « description complète du monde » ?

Anscombe propose une simplification : supposons un monde dans lequel n’existent que 2 objets (a et b) et une fonction (f).

Ce monde n’offre alors que 4 possibilités : fa, non-fa, fb, non-fb.

Alors, prenons une proposition complètement généralisée comme : (∃x,y,f)(fx ∧ ~fy)

Celle-ci peut convenir aussi bien à deux mondes possibles différents :

  • monde 1 : fa ∧ ~fb
  • monde 2 : ~fa ∧ fb

C’est là le « jeu » que délimitent les propositions totalement généralisées et laissent à la constitution du monde (5.5262) : elles décrivent des « propriétés structurales du monde » (Carnets, 28/10/14).

Les 4 mondes possibles peuvent être décrits de manière entièrement générale (i.e. sans faire référence aux objets / noms a et b), par des propositions totalement généralisées, ainsi :

  • il y a un x (un objet) et un y (un autre objet) et une ϕ (une fonction) tels que ϕx et ϕy
  • il y a un x et un y et une ϕ tels que ϕx et non ϕy
  • il y a un x et un y et une ϕ tels que non ϕx et ϕy
  • il y a un x et un y et une ϕ tels que non ϕx et non ϕy

Notons qu’il y a aussi, dans le cas considéré, deux « mondes impossibles » (qui correspondent à des descriptions généralisées contradictoires) : ceux qui seraient décrits par les propositions qui affirmeraient « tels que ϕx et non ϕx » ou « tels ϕy et non ϕy ».

4. Sur l’égalité (Gleichheit) ou identité (Identität), et le signe « = » (5.53)

Problème logique et ontologique fondamental dans l’histoire de la philosophie : l’un et le multiple, le même et l’autre, etc.Qu’est-ce que c’est ? Comment les exprimer ?

Critique de Russell et de « l’identité des indiscernables » de Leibniz.

Indiscernables (identiques) : x = y si et seulement si x et y satisfont exactement les mêmes fonctions (prédicatives) ; x= y ⇔ ∀F(F(x) ⇒ F(y))

Objection de W. en 5.5302 : il n’est sans doute jamais vrai que deux objets aient toutes leurs propriétés en commun (« incorrecte »), mais dire que deux objets (non identiques, donc) ont toutes leurs propriétés en commun a un sens.

5.5303 : double objection

  • dire de deux choses qu’elles sont identiques est un non-sens (autrement dit, si x et y sont supposées distincts, on ne peut jamais mettre un signe « = » entre leurs signes)
  • dire d’une chose qu’elle est identique à elle-même n’est rien dire du tout, c’est une tautologie : x = x (on n’a pas besoin de cette notation, le maintien du signe « x » suffit)

5.531, 5.532, et 5.5321 proposent des réécritures éliminant le signe « = » : le signe « = » (de même que « ≠ ») est inutile ; l’utilisation répétée du même signe et l’utilisation de deux signes distincts suffisent ;

  • 5.531 : on ne devrait pas écrire « f(a,b) . a=b », mais simplement « f(a,a) » (ou « f(b,b) »)
  • 5.532 : pour signifier qu’il y a deux objets qui ont la même propriété F, on n’a pas besoin d’écrire (∃ x,y) . f(x,y) . ~ (x = y) ou (∃ x,y) . f(x,y) . x ≠ y, mais il suffit d’écrire (∃ x,y) . f(x,y)
  • 5.5321 : au lieu d’écrire « pout tout x, vérifier f(x) implique que x = a » (il n’y a que a qui vérifie f), il faut éliminer le signe « = », et écrire que « pour tout x, f(x) implique f(a), et il n’existe pas deux objets (x et y) qui l’un et l’autre vérifient f »

5.533 : « Le signe d’égalité n’est donc pas un élément essentiel de l’idéographie. »

5.534 : ensemble de « pseudo-propositions », qui ne se laissent pas réécrire du tout ; elles s’éliminent d’elles-mêmes.

Granger : « l’identité de deux objets, qui n’est pas une propriété de ces objets mais une relation formelle, se montre par l’identité (factuelle) de deux signes. Un symbole d’identité est donc superflu, et partant dépourvu de sens ; il appartiendrait à un usage métalinguistique de la langue. » (161)

5. Les attitudes propositionnelles, critique de Russell (« A pense p ») – théorie du jugement (5.54)

5.54 pose que dans toute proposition complexe, chaque proposition est la base d’une opération de vérité.

5.541 et 5.542 énoncent et réfutent une objection (référence à Russell et Moore).

Dans « A croit que p », la vérité/fausseté paraît indépendante de la vérité de p.

Ex. « Othello croit que Desdémone aime Cassio » : la vérité de cette proposition ne dépend pas de la vérité de la proposition relative « Desdémone aime Cassio ».

D’autre part, dans de telles propositions, p semble être se tenir dans une sorte de relation avec l’objet A.

5.542 : « Wittgenstein s’oppose ici à l’idée que les attitudes propositionnelles sont une relation entre un objet simple, le sujet « A », et un fait complexe « p ». Lorsque « A pense que p », alors une des pensées de A est un fait p, qui est une image du fait p dans le monde. C’est ce que Wittgenstein exprime en disant « “p” dit p », où la première occurrence de « p » est une pensée. Dans une lettre à Russell datée du 19 août 1919, Wittgenstein décrit la « pensée » (Gedanke) comme n’étant pas composée de mots mais plutôt de « constituants psychiques qui ont avec la réalité la même sorte de relation que des mots » (C, p. 234). Ce sont donc ces éléments de la pensée qui forment un fait p, qui est coordonné avec un fait p dans le monde « par coordination de leurs objets ». » (Marion, 47)

Plus généralement Wittgenstein considère que les « attitudes propositionnelles » (croire que, asserter, nier que, etc.) ne font pas du tout partie de la logique propositionnelle.

Déjà dans les Notes sur la logique : « le signe d’assertion n’a aucune signification logique. (…) l’assertion est purement psychologique. Il n’y a que des propositions sans assertion. » (Carnets, 175).

Il ne faut pas se faire avoir par la forme apparente de ce genre de propositions : dans « A croit », on a l’impression que l’on pourrait remplacer p par un nom propre, comme par ex. dans « A mange B ». En réalité, il faudrait écrire : « A croit que p est vrai et que non-p est faux ».- (idem).

Ensuite, dans 5.5421-5.5423, cette critique débouche sur un anti-psychologisme : « Ceci montre encore que l’âme – le sujet, etc. -, telle qu’elle est conçue dans la psychologie superficielle d’aujourd’hui, est une pseudo-chose. » (5.5421). Ceci sera poursuivi à la section 5.6, notamment en 5.631 : « Il n’y a pas de sujet de la pensée, de la représentation. (…) il n’y a pas de sujet »

Trad. Chauviré / Plaud : « le sujet qui pense, qui se représente, n’existe pas. »

5.5422 : « rien dans la théorie [de Russell] ne permet d’éviter le non-sens, Adc ou « Othello croit que aime Desdémone Cassio », puisque l’universel « amour » n’y apparaît plus comme une relation qui relie les éléments mais simplement comme un objet relié par la relation de croyance » (Marion, 42)

5.5423 : les deux cubes vus dans la même figure sont réellement deux faits distincts, et non deux façons subjectives de voir un seul et même fait. Car percevoir un complexe ce n’est pas seulement voir ses composantes mais voir leur agencement déterminé. De même, comprendre une relation aRb n’est pas seulement comprendre a et b comme étant en relation l’un avec l’autre, mais comprendre quelle relation déterminée les relie.

Granger : « le fait constitué par l’énoncé matériel de la proposition p est dit être équivalent au fait désigné par la proposition même, en vertu de l’identité de leur structure. » (57)

Anti-psychologisme de Wittgenstein (conversation avec Schlick et Waismann, dans Wittgenstein et le Cercle de Vienne, 146) :

« je ne cesse de revenir à la question : que veut dire comprendre une phrase ? Cela se rattache à la question plus générale : qu’est-ce que l’on nomme intention, vouloir dire, signifier ? La manière de voir dominante aujourd’hui est que la compréhension est un processus psychologique, qui se déroule « en moi ». Sur quoi je demande : la compréhension est-elle un processus qui court parallèlement à la phrase (qu’elle soit prononcée ou écrite) ? Quelle est, si oui, la structure d’un tel processus ? Est-ce la même structure que celle de la phrase ? Ou bien ce processus est-il quelque chose d’amorphe, à peu près comme lorsque, étant en train de lire la phrase, j’éprouve en même temps un mal de dents ? Je crois pour ma part que la compréhension n’est nullement un processus psychologique particulier qui aurait une existence séparée et viendrait s’ajouter à la perception de la phrase. Certes, lorsque j’entends ou je lis une phrase, il y a bien des processus divers qui se jouent en moi : ici une image qui surgit, là des associations qui se font, etc. Mais tous les processus de ce genre ne sont pas en l’occurrence ce qui m’intéresse. Je comprends la phrase dans la mesure où je l’applique. La compréhension n’est donc nullement un processus particulier, c’est le fait d’opérer avec une phrase. La phrase est là pour que nous opérions avec elle (Ce que je fais est aussi une opération.). »

Marion : « conception « opératoire » de l’aspect « intentionnel » du langage » (67)

6. Perfection du langage ordinaire (5.55)

On sait depuis 4.221 qu’il y a nécessairement des propositions élémentaires, parce qu’elles sont les conditions transcendantales, a priori, de la connaissance et du langage sensé (l’analyse doit pouvoir s’arrêter, sinon la vérité / fausseté d’aucune proposition ne serait atteignable / décidable). Condition associée : il doit y avoir des objets simples, dont les noms propres forment justement les propositions élémentaires.

Mais on ne peut quasiment rien en dire de plus…

Granger : « parce qu’il n’est pas possible de présenter exhaustivement l’ensemble des noms, c’est-à-dire de désigner toutes les choses, il n’est pas possible de donner a priori la forme de tou- tes les propositions élémentaires (5.55). Nous avons donc un « concept de proposition élémentaire » indépendamment de la connaissance des formes que ces propositions peuvent revêtir (5.555). Et la détermination dans chaque cas particulier de propositions élémentaires revient à l’application (Anwendung) de la logique (5.557), c’est-à-dire à la pensée effective des états de choses dans l’expérience. » (154)

5.551 : la logique est auto-suffisante, et aucune question logique n’a besoin d’être tranchée par une référence au monde.

5.552 : la logique est « antérieure au Comment, non au Quoi ».

Elle est a priori au sens où elle est avant le Comment (Wie), c’est-à-dire « avant le fait que quelque chose est ainsi » (Plaud / Chauviré). Elle est indépendante de – antérieure à – toute expérience.

Mais elle n’est pas antérieure au Quoi (Was) : la compréhension de la logique suppose qu’il y ait quelque chose, que quelque chose soit (on pourrait dire l’Etre). Et qu’il y ait quelque chose n’est justement pas l’objet d’une expérience, mais la condition de possibilité de toute expérience.

5.5521 : l’applicabilité de la logique suppose qu’elle soit antérieur au Comment mais postérieure au quoi (= que le monde existe, qu’un monde existe).

Granger : « Et parce qu’il n’est pas possible de présenter exhaustivement l’ensemble des noms, c’est-à-dire de désigner toutes les choses, il n’est pas possible de donner a priori la forme de tou- tes les propositions élémentaires (5.55). Nous avons donc un « concept de proposition élémentaire » indépendamment de la connaissance des formes que ces propositions peuvent revêtir (5.555). Et la détermination dans chaque cas particulier de propositions élémentaires revient à l’application (Anwendung) de la logique (5.557), c’est-à-dire à la pensée effective des états de choses dans l’expérience. » (154)

5.5563 : perfection du langage usuel

Granger : « Autrement dit, le langage usuel n’est nullement une approximation d’un langage formel parfait, et c’est lui qui d’abord est adéquat pour véhiculer le sens. « Les propositions dont les hommes font exclusivement usage ont, telles quelles, un sens, et n’attendent pas d’avoir été postérieurement analysées pour en avoir un » (Notebooks, en date du 17 mai 1915). Bien que dépouillées des déguisements et des parures, les propositions qui composent les langages formalisés n’ont cependant aucun privilège essentiel par rapport à celles du langage usuel, car les unes et les autres dépendent des mêmes conditions générales de l’expression. » (180)

Anscombe : « That is to say, the sentences of ordinary language no more fail to express a sense than our Roman numeral fails to express a number. The one expresses a sense, the other a number, perfectly. And so the ideal order that characterizes language is there in every sentence of ordinary language. But : ‘Everyday language is a part of the human organism and is just as complicated. It is humanly impossible to gather the logic of language from it directly’ (4.002). This, then, is why, according to Wittgenstein, we study logic and construct logical symbolisms : in order to understand the ‘logic of language’, so as to see how language mirrors reality. » (92)