Lecture des propositions 4.1 à 4.128 – ce qui se montre et ce qui se dit

Les propositions 4.01 ont précisé et approfondi la théorie picturale de la proposition qui avait été introduite dès les prop. des sections 2 et 3, tout en continuant d’insister sur l’ineffabilité des « constantes logiques ».

Les propositions de la section 4.1 constituent une sorte de « digression essentielle » entre la prop. 4.1 et la prop. 4.2., qui développe principalement la distinction wittgensteinienne fondamentale entre ce qui se montre et ce qui se dit, ainsi que la conception wittgensteinienne de la philosophie comme « activité d’élucidation ».

1. Philosophie vs science de la nature (4.11)

4.1 – 4.11 : Les propositions sensées énoncent des possibilités factuelles du monde, et lorsqu’elles sont vraies elles énoncent des faits réels ou existants, ce qui a effectivement lieu.

C’est pourquoi on peut dire que la totalité des propositions vraies exprime la totalité de ce qui a lieu, la « totalité de la réalité » (4.12). Autrement dit, « toute la science de la nature (ou la totalité des sciences de la nature) » (4.11).

Ceci ne signifie toutefois pas que la science, même supposée achevée, épuise tous les « problèmes » que nous pouvons nous poser. La science peut énoncer, en droit, tout ce qui a lieu, mais elle ne peut énoncer que cela, et laisse « intacts » ce que la fin du TLP appellera « les problèmes de notre vie » (l’éthique, l’esthétique, les valeurs, le sens de la vie et du monde) :

« Nous sentons que, à supposer même que toutes les questions scientifiques possibles soient résolues, les problèmes de notre vie demeurent encore intacts. » (6.52)

4.111 – 4.116 : La philosophie n’est pas une science de la nature

La philosophie n’est pas sur le même plan que les sciences de la nature : les différentes sciences de la nature (physique, biologie, psychologie, etc.) sont, si l’on veut, « à côté » les unes des autres, sur un même plan, mais la philosophie doit être située sur un autre plan (« au-dessus ou au-dessous »).

Notes sur la logique :

« La philosophie ne fournit pas d’images de la réalité, et ne peut ni confirmer ni réfuter des recherches scientifiques. »

A la différence des sciences de la nature, la philosophie n’est pas un discours sur la réalité, elle ne porte pas sur des faits. Elle porte sur les conditions de possibilité de tout discours sensé / factuel. En ce sens, « la philosophie délimite le territoire contesté / disputé de la science de la nature » (4.113) : elle définit les conditions que doit remplir une théorie pour prétendre être une science.

Dans cette mesure, la philosophie n’est pas elle-même une « théorie » ou « doctrine » (Lehre) – pas même une théorie du langage – mais plutôt une « activité », une « tâche » (Tätigkeit): elle ne consiste pas à produire des « propositions philosophiques » qui pourraient être vraies ou fausses (au sens où il y a des propositions physiques), mais en une activité « thérapeutique » qui vise à « rendre claires les propositions », « la clarification logique des pensées » (4.112), à délimiter les limites du dicible et partant de l’indicible (comme l’avant-propos l’énonçait par avance).

Une activité, une tâche, c’est-à-dire une pratique visant non à décrire mais à transformer l’usage du langage.

En ce sens, s’il peut y avoir une « œuvre » (Werk) de philosophie, ce n’est pas au sens d’un manuel ou d’un traité. On retrouve ici le paradoxe du TLP lui-même, qui se présente d’abord comme une sorte de traité, d’ouvrage théorique (développant des thèses ontologiques et logiques), mais qui s’achève pas sa propre auto-élimination :

« Mes propositions sont des éclaircissements en ceci que celui qui me comprend les reconnaît à la fin comme dépourvues de sens (sinnlos), lorsque par leur moyen – en passant sur elles – il les a surmontées. (Il doit pour ainsi dire jeter l’échelle après y être monté.) » (6.54)

On pourrait dire que l’effet final du TLP est de faire renoncer à son écriture.

Deux confusions inverses et symétriques doivent être évitées : croire que ce qui est philosophie est science, croire que ce qui est science est philosophie.

4.1121 : La psychologie est une science de la nature (description empirique du fonctionnement mental), non une philosophie.

La « théorie de la connaissance » (cf. Russell par ex.) n’est pas une science, ne doit pas être confondue avec la psychologie (empirique) : elle est – ou elle serait plutôt, si l’on veut – « la philosophie de la psychologie ».

Wittgenstein reproche à Russell, et à d’autres, de passer sans cesse de l’une à l’autre, sans bien voir la différence de statut. Etudier la logique (comme le fait le TLP) n’est-ce pas la même chose que d’étudier les « processus de pensée » ? Oui et non. Non, car les processus de pensée sont de l’ordre des faits (de l’empirique) et peuvent être décrits, alors que la logique délimite les conditions de possibilité de tout discours factuel (conditions qui ne sont pas elles-mêmes des faits, non d’ordre empirique mais d’ordre « transcendantal »). Oui, en un sens, dans la mesure où chez Wittgenstein « l’étude de la langue symbolique » remplace purement et simplement toute « théorie de la connaissance » et toute « psychologie ».

Latraverse (Signe, proposition, situation: éléments pour une lecture du tractatus logico-philosophicus) : « La recherche du Tractatus n’est pas psychologique, à proportion qu’elle ne double pas les opérations logiquement nécessaires d’opérations mentales construites par analogie et qu’elle ne retient de la pensée que ce qui lui est nécessaire, les opérations avec les signes »

Mais il faut distinguer le « je empirique » de la psychologie du « sujet métaphysique », du je en un sens non-psychologique, comme condition de possibilité du langage et du monde, dont on ne peut rien dire mais qui se montrecomme limite ou frontière du monde et du langage (cf. 5.63 et sqq.) :

« Le je philosophique n’est ni l’être humain, ni le corps humain, ni l’âme humaine dont s’occupe la psychologie, mais c’est le sujet métaphysique, qui est frontière – et non partie – du monde. » (5.641)

De même, la théorie de l’évolution de Darwin passe parfois pour une philosophie alors qu’elle est essentiellement une science de la nature (elle énonce des hypothèses factuelles, et vérifiables).

4.113 – 4.115 : 

La tâche de la philosophie est donc de délimiter « le territoire contesté de la science de la nature » (4.113).

Or (4.114), délimiter le territoire contesté de la science, cela revient à délimiter le territoire du pensable, et, partant, de l’impensable. Sachant que le territoire de l’impensable ne peut être déterminé que de l’intérieur du pensable (depuis le pensable), faute de pouvoir « penser ce qui ne se laisse pas penser » (cf. avant-propos).

Ces prop. rappellent pour finir (4.115 et 4.116) que les limites du pensable et du clair sont en fait les limites du dicible / exprimable. Leitmotiv wittgensteinien de l’avant-propos à la proposition finale du TLP.

« On pourrait résumer en quelque sorte tout le sens du livre en ces termes : tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » (Avant-propos)

« Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » (TLP, 7)

2. Ce qui se montre et ce qui se dit (4.12 – 4.1213)

Délimiter le territoire de la science, c’est montrer que si la science peut énoncer / figurer / présenter (Darstellen) toute la réalité, elle ne peut en revanche énoncer / figurer / présenter la « forme logique » qu’elle a en commun avec la réalité pour pouvoir justement l’énoncer ; elle ne peut énoncer ses propres conditions de possibilité, car pour cela il faudrait que la science puisse se placer en dehors d’elles (4.12).

C’est pourquoi, comme on l’avait déjà vu en commentant les prop. 3.33 et sqq., il n’y a pas de « théorie logique » ou de « science de la logique ».

Il faut distinguer « dire » (Sagen) et « montrer » (Zeigen) : la forme logique est montrée (gezeigt) / indiquée (du verbe Weisen) dans les énoncés de la science, ceux-ci en sont le reflet / « miroir » (Spiegel), mais cette forme logique ne peut pas elle-même être dite (gesagt) / énoncée / figurée / présentée, à la manière d’un fait.

Distinction absolument fondamentale chez Wittgenstein, dans toute l’œuvre.

Il faut revenir à la prop. 4.022 pour comprendre ce qui distingue et ce qui relie « dire » et « montrer » :

« La proposition montre ce qu’il en est des états de choses quand elle est vraie. Et elle dit qu‘il en est ainsi. »

Chauviré (85) : « « Dire » (…), dire un fait – car on ne peut dire que les faits et les états de choses, pas les objets, c’est le dépeindre à la manière d’une image qui a la même forme logique que le fait ou l’état de choses représenté. En disant le fait, la proposition montre, sans pouvoi la dire, la structure qu’elle possède en commun avec le fait décrit : c’est la thèse du double fonctionnement du langage, qui justifie entre autres le rejet par Wittgenstein de toute méta-langue : en disant un fait, la proposition en montre un autre, qu’elle montre par le fait de dire. (…) pour Wittgenstein, la syntaxe se montrer dans l’usage correct du langage ou du symbolisme concerné, elle ne peut se formuler en propositions. »

Déjà dans les Notes de Norvège : « Toute proposition proprement dite montre quelque chose en plus de ce qu’elle dit, touchant l’univers : (…) si elle a un sens elle reflète quelque propriété logique de l’univers. »

4.1211 : Montrer, c’est faire voir immédiatement (à même les signes propositionnels).

Ce qui « se montre » se voit, bien que cela ne puisse se dire (c’est-à-dire s’énoncer, se décrire comme un fait).

Ainsi une proposition de la forme « fa » montre qu’il est question en elle d’un objet a (et d’une fonction / prédicat f dont a est l’argument), en même temps qu’elle dit que a vérifie effectivement la fonction f.

Deux propositions « fa » et « ga » (par ex. « Socrate est sage » et « Socrate est le maître de Platon ») disent deux faits distincts du monde, mais en même temps elles montrent par leur forme même qu’il est question en elles deux du même objet : elle montrent l’identité de leur objet.

De même, la relation de contradiction ou de conséquence entre deux propositions se montre dans la structure / forme même des propositions concernées, indépendamment de ce qu’elles disent.

4.1212 : Non seulement il faut distinguer entre ce qui se montre et ce qui se dit, mais il faut admettre que ce qui se montre ne peut être dit.

Toutefois, il faut bien reconnaître une utilité pédagogique provisoire aux énoncés mal formés, aux « pseudo-propositions » de ce genre : ils jouent en effet un rôle important dans l’apprentissage de la langue (à l’image de l’échelle qu’il faut gravir avant de pouvoir la jeter, dans la prop. 6.54).

4.1213 : La cohérence d’un langage symbolique suffit pour garantir une conception logique correcte (toute théorie logique est à la fois impossible et inutile), car la logique du langage se montre d’elle-même à travers ses signes, lorsque ceux-ci sont correctement employés (comme dans une idéographie).

4.122 – 4.125 : les propriétés formelles / internes vs propriétés matérielles / externes

Les propriétés et les relations formelles / internes des objets et des faits ne peuvent être « affirmée[s] par des propositions » mais elles se montrent dans les propositions concernant ces objets ou ces faits.

Propriété interne d’un fait : comme un « trait » (Der Zug, une ligne, feature) de ce fait (4.1221).

En 4.123 Wittgenstein précisera : « Une propriété est interne quand il est impensable que son objet ne la possède pas. » et donnera l’exemple des nuances de couleur.

Par ex. toute nuance de couleur a comme propriété interne une certaine luminosité, et deux couleurs distinctes sont nécessairement dans une certaine relation interne de luminosité (4.123).

Granger (152) : « Les propriétés formelles des choses dessinent a priori les possibilités de propriétés externes, empiriquement vérifiées, par le moyen desquelles les choses sont décrites (4.023) » En effet, « une description d’objet se fait (…) par ses propriétés externes, qu’il nomme encore « relations » stricto sensu. Il s’agit alors, semble-t-il, des états de choses effectifs réalisés, d’une manière contingente, parmi l’ensemble des états de choses possibles qui déterminent les propriétés internes de l’objet. » (54)

Ainsi, les propriétés internes s’opposent aux propriétés externes « comme le transcendantal au factuel » (Granger, 151).

Que tel objet ou telle situation possède telle propriété interne n’est pas exprimée – au sens de dite – par une proposition (comme on vient cependant de le faire à l’instant…), mais s’exprime – au sens de se montre – dans la proposition qui présente cet objet ou cette situation, par une propriété interne de cette proposition.

Ainsi par ex., il n’y aurait guère de sens à formuler un énoncé tel que : « cette nuance de rouge a une luminosité », car la luminosité est une propriété interne qu’une couleur a nécessairement. Seul l’énoncé « cette nuance de rouge a telleluminosité, ou une luminosité plus grande de tant que telle autre nuance… » a du sens.

4.1241 : critique à nouveau de la théorie des types de Russell (cf. commentaire de 3.33 et sqq.)

De même, l’existence d’une relation interne entre deux situations (par ex. de contradiction ou de conséquence, cf. plus haut) s’exprime, c’est-à-dire se montre à travers la relation interne entre les propositions qui les présentent (4.125), et se lit directement dans les tables de vérité.

4.1252 (et plus loin 4.1273) : succession / série des nombres entiers ou cardinaux

La série des nombre entiers est une « série de formes » c’est-à-dire une série ordonnée par une relation interne (être un successeur de), qui n’est pas une relation externe (tout nombre entier est le successeur d’une autre)

Plus loin : « La relation interne qui ordonne une série est équivalente à l’opération par laquelle un membre est engendré à partir d’un autre » (5.232)

Ainsi, ces propriétés internes (les propriétés formelles du langage comme les propriétés formelles des faits dont elles sont les reflets), propriétés qui constituent « la grammaire universelle de la signification qui se confond pour Wittgenstein avec une logique » (Granger, 185), sont indicibles : « Tout ce qu’on essaie d’en dire (et singulièrement tout le discours du Tractatus) est non-sens. » (Granger, 185). De même les propositions des mathématiques, en tant qu’elles prétendent énoncer des propriétés formelles des choses sont également des « pseudo-propositions » (6.2), n’exprimant aucune pensée, ne disant rien mais seulement montrant quelque chose.

4.126 – 4128 : concepts formels vs concepts matériels / propres

Il faut clairement distinguer « concepts formels » et « concepts propres ou proprement dits », ce qui fait défaut à « l’ancienne logique ».

Concepts proprement dits ou « matériels » (prédicats) : « ville », « sage », « éléphant », « rose », etc.

Concepts formels : « objet », « concept », « fait », « nombre », « complexe », « prédicat », « relation », « proposition », etc.

Or, les concepts formels ne peuvent être prédiqués des objets qui tombent sous eux, mais ils se montrent à même les signes utilisés pour désigner ces objets :

« Que quelque chose tombe sous un concept formel comme l’un de ses objets ne peut être exprimé par une proposition. Mais cela se montre dans le signe même de cet objet. (Le nom montre qu’il dénote un objet, le chiffre montre qu’il dénote un nombre, etc.) » (4.126)

Commentaire d’Anscombe de la dernière phrase : « the concept object is given by using ‘Socrates’, the concept propertyby using ‘bald’, the concept number by using ‘ten’ ; and in each case the formal concept is to be symbolically expressed by a style of variable » (123).

4.126 : « Les concepts formels ne peuvent, comme les concepts propres, être présentés au moyen d’une fonction. »

Autrement dit, « être-un-concept » ou « être-un-objet » ne sont pas des prédicats au sens où « être-une-ville » ou « être-sage » le sont. On ne peut les écrire sous la forme d’une fonction (C(x) ou O(x)) appliquée à des objets, comme on le fait pour les concepts propres ou matériels.

De même qu’une propriété interne d’un fait est comme un « trait » de ce fait, de même le concept formel, l’expression de la propriété formelle est un « trait » de certains symboles, et se lit à même le symbole.

Toute proposition portant sur un concept formel est dépourvue ou vide de sens (sinnlos).

Ex. de propositions portant sur des concepts formels : « p est une proposition », « f est une fonction », « a est un objet », « 2 (ou n) est un nombre », « rouge est une couleur », « il y a des objets », « le roi de France est un complexe », etc.

« rouge est une couleur » ou « 2 est un nombre » montrent seulement que nous savons employer les signes « rouge » et « 2 ».

Pensons également à un énoncé tel que : « ceci est quelque chose ».

Ces propositions ne disent, n’expriment rien, ne sont pas « des images de la réalité (…), ne représentent pas de situation possible » (4.462) : ceci se montre notamment dans la mesure où de tels énoncés ne sont pas susceptibles d’être vrais ET faux, comme le sont nécessairement les propositions sensées. Ces propositions sont toujours et uniquement « vraies », en un sens particulier du terme : ce sont des tautologies (cf. plus loin).

De même, « rouge est un nombre » n’est pas à proprement parler une proposition fausse mais une proposition insensée, qui manifeste un mésusage des signes, une expression mal-formée.

Les concepts « formels » sont dénotés par les « variables propositionnelles » (4.126 – 4.1271)

Un concept formel ne peut être représenté dans l’idéographie que par une variable (ou y par ex. pour un objet, f() pour une fonction), et corrélativement :

« Chaque [toute] variable est le signe d’un concept formel. Car chaque variable figure une forme constante, que possèdent toutes ses valeurs, et qui peut être conçue comme leur propriété formelle. » (4.1271)

4.1272 distingue deux usages du mot « objet », l’un légitime, l’autre illégitime.

Légitime lorsqu’il est employé comme nom de variable, comme dans la phrase « Il y a deux objets qui… » symbolisée dans l’idéographie par l’expression quantificatrice (∃ x,y)…

4.1272 : « le nom variable «x» est le signe propre du pseudo-concept objet. »

Illégitime lorsqu’il est employé comme nom de concept, comme dans la phrase « il y a des objets », qui devrait être symbolisée par ∃ x (Ox) [où « O » noterait la fonction « être objet »]

Rossi (40-41) : « La confusion de la variable avec une de ses valeurs, c’est-à-dire du concept avec les objets qui tombent sous lui, conduit à une sorte de réification du formel. Par exemple, il est légitime d’employer le terme « objet » lorsqu’il est le signe d’un objet particulier, c’est-à-dire lorsqu’il est exprimé dans le symbolisme logique par un nom. Il est permis de dire « Il y a deux objets sur la table ». Mais, « chaque fois qu’il est utilisé autrement, donc comme mot conceptuel propre, se produisent des pseudo-propositions dépourvues de sens » (4.1272). Dans ce cas, en effet, on confère une existence à un concept et non à un individu. Or, Wittgenstein est net sur ce point: « La question concernant l’existence d’un concept formel est dénuée de sens » (4.1274). Pour Wittgenstein, donc, il est illégitime de parler de ces concepts formels et le fait qu’ils soient logiquement notés par des variables et non par des constantes individuelles devrait suffire à nous mettre en garde contre une utilisation abusive de concepts tels que « fait », « fonction », « nombre », « possibilité », etc. »

4.1273 : successeur / prédécesseur (antécédent) (prolonge la prop. 4.1252)

Série de formes (etc.)

Cf. aussi 5.521 et sqq. + commentaires d’Anscombe (124 et sqq.)

Pensons à l’application successive d’une relation de paternité : mon père, le père mon père, le père du père de mon père, etc.

Accusation de cercle vicieux à l’égard de Russell (qui amena celui-ci à modifier son raisonnement dans la seconde édition des Principia : cf. Anscombe, 128)

Marion : Wittgenstein « accuse Frege et Russell au 4.1273 d’avoir donné une définition circulaire de la notion de relation « ancestrale » ; cette notion est fondamentale pour la réduction logiciste de la suite des nombres naturels. »

En 6.02, W. donne une définition de la suite des nombres naturels en termes d’opérations, et en 6.021 : « Le nombre est l’exposant d’une opération. »

Ainsi « le nombre deux, par exemple, est défini de la manière la plus générale possible en termes de double application successive de n’importe quelle opération à n’importe quelle base. » (Marion, 136).

L’enjeu sous-jacent est également de se débarrasser de la notion de « classe », qui est la base de la définition des entiers naturels chez Frege et Russell (le nombre deux est la classe de toutes les classes de deux membres : ce qui semble à nouveau circulaire). Cf. 6.031 : « La théorie des classes est en mathématique tout à fait superflue.  »

Conclusion de Marion sur la conception wittgensteinienne des mathématiques (137-138) :

« Une des conséquences de l’approche constructiviste de Wittgenstein est son rejet de l’idée qu’il puisse y avoir à strictement parler des « énoncés » ou « propositions » en mathématiques. Les propositions des mathématiques n’expriment donc aucune pensée (6.21), elles sont des « pseudo-propositions » (Scheinsätze) (6.2). Les mathématiques ne sont composées que d’algorithmes, un peu comme un abaque extrêmement complexe :

« 6.211 – Dans la vie ce n’est pas de la proposition mathématique que nous avons besoin, mais nous utilisons la proposition mathématique seulement pour déduire de propositions qui n’appartiennent pas aux mathématiques des propositions qui ne leur appartiennent pas davantage. »

Les mathématiques sont donc formées d’équations, les preuves procèdent par la méthode de substitution (6.2341-6.24) et l’ « essentiel dans l’équation est qu’elle n’est pas nécessaire pour montrer que les deux expressions liées par le signe d’égalité ont la même signification (Bedeutung), car cela se laisse voir (ersehen) à partir des deux expressions elles-mêmes » (6.232) ; « leur justesse peut être reconnue (einzusehen) sans qu’il faille comparer aux faits ce qu’elles expriment pour en établir la justesse » (6.2321).

Cette vision philosophique des mathématiques s’oppose à celle d’un Frege, pour qui les énoncés arithmétiques portent sur des objets abstraits de la même manière que des énoncés sur les chaises et les tables portent sur des objets concrets. Il faut cependant noter que, encore une fois, Wittgenstein parle de « voir » la relation (interne) entre les termes liés par le signe d’identité (mathématique et non logique). La preuve en mathématique, comme l’inférence logique, est justifiée par une relation interne, qui se montre et que nous voyons. Mais, encore une fois, Wittgenstein ne fait pas appel à un « sujet pensant », car il refuse tout rôle à l’intuition (6.233), pour ne conserver que « l’acte de calculer » (6.231). »

4.1274 : La question de l’existence d’un concept formel n’a aucun sens.

On peut demander avec sens : « y-a-t-il deux objets sur la table ? »

On ne peut demander : « existe-t-il des objets ? »

4.128 : La question du nombre d’une forme logique n’a pas de sens non plus.

Ainsi se demander si la réalité est « une » ou «duelle » ou « multiple » n’a pas de sens (monisme / dualisme).