Lecture des propositions 3.34 à 4 – Traits essentiels, contingents et arbitraires de la proposition

Après la sorte de digression critique à l’égard de B. Russell et de sa « théorie des types » (prop. 3.33 à 3.3442, commentées ici), les propositions 3.34 et sqq. reprennent le fil de la section 3 et aboutissent à l’identification de la pensée et de la proposition sensée (prop. 4).

3.34 – 3.3421

Les traits contingents : ceux qui relèvent du « mode particulier de production du signe propositionnel » (telle ou telle langue, écrite ou parlée, etc.)

Les traits essentiels : les traits nécessaires à la détermination et l’expression du sens ; les traits communs « à toutes les propositions qui peuvent exprimer le même sens » ; les « propriétés logiques » des propositions ; penser à la traduction d’une phrase d’une langue à une autre (et il en sera question par la suite); ce sont ces traits essentiels que retient le symbolisme idéographique.

Ces traits essentiels se montrent mais ne peuvent se dire ; inversement, ce sont seulement les traits contingents des langues dont peut dire quelque chose, qui peuvent être décrits comme des faits du monde (cf. Notes de Norvège, 201).

Ceci est vrai également des symboles qui composent la proposition : « est essentiel au symbole ce qui est commun à tous les symboles qui peuvent atteindre le même but. » (3.341)

Ainsi, le « véritable nom » n’est pas telle ou telle désignation particulière d’un objet, mais ce que toutes ces désignations d’un même objet ont en commun (et qui fait qu’elles sont interchangeables) ; c’est pourquoi si un nom est composé (par ex. « le roi de France »), cette composition est accidentelle : 3.3411.

Il y a de l’arbitraire aussi dans la notation : que tel signe soit utilisé pour tel symbole.

Mais cet arbitraire disparaît dès que l’usage du signe est déterminé, convenu (3.342)

3.343

Traduire, c’est transposer une structure logique (essentielle) d’une notation (arbitraire, contingente) à une autre.

Cf. TLP 4.014 et 4.0141 : disque, pensée musicale, notation musicale, ondes sonores.

« Le disque de phonographe, la pensée musicale, la nota­ tion musicale, les ondes sonores sont tous, les uns par rapport aux autres, dans la même relation représentative interne que le monde et la langue.

À tous est commune la structure logique.

(Comme dans le conte, les deux jeunes gens, leurs deux chevaux et leurs lis. Ils sont tous en un certain sens un.) » (4.014)

« Qu’il y ait une règle générale grâce à laquelle le musicien peut extraire la symphonie de la partition, et grâce à laquelle on peut extraire la symphonie des sillons du disque, et derechef, selon la première règle, retrouver la partition, c’est en cela que repose la similitude interne de ces figurations apparemment si différentes. Et cette règle est la loi de projection qui projette la symphonie dans la langue de la notation musicale. C’est la règle de traduction de la langue de la notation musicale dans la langue du disque. » (4.0141)

Cf. TLP 4.025 – il faut retrouver la même structure avec d’autres constituants :

« La traduction d’une langue dans une autre ne se produit pas par la traduction d’une proposition de l’une dans une proposition de l’autre ; seuls sont traduits les constituants de la propo­sition. »

3.3441

Cela vaut non seulement pour les noms, mais aussi pour les connecteurs logiques.

Possibilité de remplacer tous les connecteurs logiques par l’emploi combiné de 2 seulement, au choix : soit négation + disjonction, soit négation + conjonction (voire aussi barre de Sheffer ou barre verticale « | ») ; Henry Maurice Sheffer avait démontré dès 1913, que le seul connecteur « NOR » (négation de la disjonction : les deux à la fois) ou son dual « NAND » (négation de la conjonction : pas les deux à la fois, ) suffisait à définir l’algèbre booléenne.

P | P <=> ¬P (négation)

P | Q <=> ¬(P ∧ Q) (négation de la conjonction)

P | (P | Q) <=> P => Q (implication)

(P | P) | (Q | Q) <=> P ∨ Q (disjonction)

(P | Q) | (P | Q) <=> P ∧ Q (conjonction)

3.3442 : pas sûr de comprendre…

3.4 – 3.42 « La proposition détermine un lieu dans l’espace logique »

Une proposition sensée, bien formée, définit un « lieu logique », énonce une possibilité du monde : un fait possible, positif (existant) ou négatif (non existant).

Cette possibilité est garantie par la seule existence de la proposition, de sa structure et de ses éléments (si celle-ci, bien sûr, est correctement formée) : c’est ainsi que le langage nous permet d’envisager des situations encore inconnues, de former des hypothèses sensées sur la réalité.

L’espace logique est comme un repère graphique avec des coordonnées : le signe propositionnel (la proposition) énonce les coordonnées d’un « point », d’un « lieu logique », c’est-à-dire d’une situation possible du monde. De même qu’un lieu géométrique définit la possibilité d’une existence spatiale.

3.42 : tout en indiquant un lieu logique déterminé unique (tel fait possible), la proposition présuppose néanmoins l’ensemble de l’espace logique (tous les faits possibles)

Dans l’affirmation d’un fait ou d’une situation est contenue virtuellement sa négation, sans qu’il soit besoin d’ajouter quoi que ce soit de nouveau : dire « il pleut », c’est admettre et indiquer la possibilité qu’il ne pleuve pas. Mais aussi sa conjonction (produit logique), sa disjonction (somme logique), etc. : toutes les opérations que pourraient lui faire subir les connecteurs logiques.

Toute proposition emporte avec elle une « armature logique » (traduction Plaud / Chaviré), dont il sera à nouveau question en 4.023 :

« La proposition construit un monde au moyen d’un échafaudage logique, et c’est pourquoi l’on peut voir dans la proposition, quand elle est vraie, ce qu’il en est de tout ce qui est logique. On peut d’une proposition fausse tirer des inférences. »

3.5 – 4 : identification pensée et signe propositionnel employé, pensé (= proposition pourvue de sens)

Résumé de la progression de la section 3 jusqu’à 4 :

3 : L’image logique des faits est la pensée

3.1 : Dans la proposition la pensée s’exprime pour la perception sensible.

3.2 : Dans la proposition la pensée peut être exprimée de telle façon que les objets de la pensée correspondent aux éléments du signe propositionnel.

3.3 : Seule la proposition < en tant qu’elle est articulée > a un sens; ce n’est que lié dans une proposition que le nom a une signification

3.4 : La proposition détermine un lieu dans l’espace logique

3.5 : Le signe propositionnel employé, pensé, est la pensée

4 : La pensée est la proposition pourvue de sens

Fait <=> Image d’un fait <=> Pensée (comme image logique d’un fait) <=> Proposition (comme expression sensible d’une pensée)