Introduction au Tractatus logico-philosophicus

1. Rédaction et publication

Le TLP est le premier ouvrage de Wittgenstein, et le seul publié de son vivant.

On estime que la conception et la rédaction du TLP s’étalent des années 1913 à 1918 environ : Wittgenstein a alors entre 24 et 29 ans, et depuis 1911 il est en relation très étroite avec B. Russell et G. E. Moore, ses enseignants à Cambridge. Le TLP est largement influencé par les discussions nombreuses et intenses avec eux, autour des mathématiques et de la logique.

Plusieurs textes intermédiaires témoignent des étapes de cette rédaction, textes pour la plupart rassemblés dans l’édition française des Carnets 1914-1916 : les Notes sur la logique de 1913 destinées avant tout à Russell, les Notes de Norvègedictées en 1914 à Moore, et les Carnets eux-mêmes, sorte de journal philosophique tenu entre août 1914 et janvier 1917.

La rédaction proprement dite du TLP daterait des années 1917-1918 : c’est donc pendant la 1e guerre mondiale, et alors qu’il y combat en tant qu’engagé volontaire depuis 1914, que Wittgenstein a rédigé le manuscrit du TLP.

Après avoir rencontré de nombreuses difficultés pour faire publier l’ouvrage, la 1e édition paraît enfin en 1921, en allemand, sous le titre Tractatus logico-philosophicus, titre suggéré par Moore en référence au Tractatus theologico-philosophicus de Spinoza. Une édition bilingue allemande-anglaise suit en 1922, avec une préface signée par B. Russell, préface très critiquée par Wittgenstein lui-même.

2. Plan et forme de l’ouvrage

L’ouvrage est bref – un opuscule de 80 pages environ – et très dense.

Le style général est celui d’une prose assez minimaliste, rigoureuse et abstraite mais peu technique, une écriture travaillée de nature aphoristique et souvent d’une grande qualité littéraire : une « sévère musique » (G. G. Granger, Invitation à la lecture de Wittgenstein, 30).

Il est constitué d’un ensemble de propositions numérotées et hiérarchisées, réparties en sept sections principales, à la manière d’un traité de mathématique ou de logique  :

  1. Le monde est tout ce qui a lieu.
  2. Ce qui a lieu, le fait, est la subsistance <das Bestehen> d’états de chose <Sachverhalten>.
  3. L’image logique des faits est la pensée.
  4. La pensée est la proposition pourvue de sens.
  5. La proposition est une fonction de vérité des propositions élémentaires.(La proposition élémentaire est une fonction de vérité d’elle-même.)
  6. La forme générale de la fonction de vérité est . C’est la forme générale de la proposition.
  7. Sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence.

A partir de cette numérotation principale, se déploie toute une numérotation décimale secondaire, à plusieurs niveaux – par ex. 2.1, 2.11, 2.131, etc. – que Wittgenstein présente au début de l’ouvrage comme indiquant le « poids logique » de chaque proposition (TLP, 33, note). En réalité, la justification de cette hiérarchisation ne doit pas être prise au pied de la lettre, comme reflétant de manière rigoureuse l’importance des énoncés ; cette organisation quasi-mathématique ne manifeste pas l’adoption d’une structure déductive ni « géométrique » – comme celle de l’Ethique de Spinoza par ex. – mais plutôt le déploiement relativement libre d’élucidations et d’approfondissements successifs (cf. Granger, ibid., 33-38).

On peut repérer une structure plus simple de l’ouvrage, dont les grands thèmes sont :

  • le monde / la réalité (une sorte d’ontologie) : sections 1 et 2 (pour partie)
  • la pensée (théorie de l’image, de la représentation et de la connaissance du monde) : section 2 (pour partie) et 3
  • la proposition (théorie du langage, de la logique et de la vérité) : sections 4, 5 et 6 (pour partie)
  • l’indicible, le Mystique (l’en dehors du pensable/dicible) : sections 6 (pour partie) et 7

Granger propose même de rassembler l’ensemble en « trois niveaux d’élucidation » : « Le premier est celui du monde, pris tel quel, ce qui a lieu ; le second est celui de l’image du monde, et de sa forme a priori, architecture logique et du monde, et du langage ; le troisième enfin, réduit – et pour cause – au dernier aphorisme, introduit un au-delà de l’expression. » (ibid., 36-37).

3. Enjeu général de l’ouvrage

L’avant-propos du livre définit assez clairement l’enjeu général du TLP.

Il s’agit essentiellement de déterminer les limites du pensable et du dicible, la « frontière » entre ce qui a du sens et ce qui n’en a pas.

«  On pour­rait résumer en quelque sorte tout le sens du livre en ces termes : tout ce qui proprement peut être dit peut être dit clairement, et sur ce dont on ne peut parler, il faut garder le silence. » (TLP, avant-propos, 31).

En témoigne également la devise de l’écrivain autrichien Ferdinand Kürnberger, placée en exergue du livre : «  et tout ce que l’on sait, qu’on n’a pas seulement entendu comme un bruissement ou un grondement, se laisse dire en trois mots. »

Pour plus de détails, cf. Lecture de l’avant-propos du Tractatus logico-philosophicus.