Les § 17 à 27 ont critiqué le simplisme de l’image augustinienne du langage en soulignant l’extrême diversité des jeux de langage, des fonctions et des usages des mots. Cette image suivant laquelle la signification d’un mot serait essentiellement constituée par sa « référence » – ce que le mot désigne ou nomme – n’est pas absolument fausse mais elle est réductrice et problématique : le langage humain n’a pas pour fonction unique ni principale de représenter des états de choses susceptibles d’être vrais ou faux (fonction descriptive ou représentationnelle), comme le soutenait pourtant lui-même l’auteur du TLP.
Les § 28 et sqq. – dans la continuité des § 26 & 27 – vont s’attaquer plus fondamentalement à la dénomination en elle-même, la relation entre noms et « choses », à travers l’examen de ce que Wittgenstein appelle les « définitions ostensives ». Ils vont montrer que la corrélation nom / chose est elle-même beaucoup moins évidente qu’il n’y paraît, au point qu’elle finit, lorsqu’on la considère comme première ou constituante et qu’on l’essentialise, par sembler énigmatique et engendrer une véritable « superstition » philosophique. L’atomisme logique – celui de Russell et de l’auteur du TLP – relève, pour le second Wittgenstein, d’une superstition de ce genre.
La question directrice ici est : Qu’est-ce que cela veut dire de « connaître le sens » d’un mot ? Comment apprend-on le sens d’un mot ? Comment enseigne-t-on le sens d’un mot ? Quand peut-on dire que ce sens est compris ?
La « réponse », minimaliste, de Wittgenstein : « connaître le sens » d’un mot ce n’est pas essentiellement savoir ce qu’il désigne ou représente, c’est être capable de s’en servir de manière correcte ou compétente dans un certain contexte pratique, au sein d’un certain « jeu de langage » ayant ses règles propres (une certaine « grammaire »). Ainsi l’ensemble de ces paragraphes préparent la conclusion générale – mais prudente, non dogmatique – du §43 :
« Pour une large classe des cas où il est utilisé — mais non pour tous —, le mot “signification” peut être expliqué de la façon suivante : La signification d’un mot est son emploi dans le langage.
Et l’on explique parfois la signification d’un nom en montrant le porteur de ce nom. »
Ainsi, la « dénomination » n’est elle-même qu’un jeu de langage parmi d’autres, sans primat particulier : ce n’est ni une manière d’entrer dans le langage, ni un usage primitif, ni un usage paradigmatique du langage ou un modèle de la signification.
C’est ce que suggéraient déjà les § 26 & 27 :
« On croit qu’apprendre le langage consiste à dénommer des objets. » (26)
« Comme si par l’acte de dénomination était déjà donné ce que nous faisons plus tard. (…) Dans les langages des § 2 et § 8, on ne posait pas de question sur la dénomination. La question sur la dénomination et son corrélat, l’explication ostensive, constituent, pourrions-nous dire, un jeu de langage en soi. Ce qui veut dire en réalité que nous sommes éduqués, dressés, à demander : “ Comment cela s’appelle-t-il ? ” — après quoi vient la dénomination. » (27)
1. La définition ostensive ne peut pas être première (§ 28 à 30)
Définir ostensivement, c’est dire : « ceci s’appelle “x” » en désignant quelque chose ; montrer quelque chose en l’associant à un mot (comme à une « étiquette » : cf. §15 et 26) dans le but de faire comprendre le sens du mot.
Les §28 à 30 vont montrer le caractère équivoque et problématique de toute définition et explication ostensives, et aboutir à la conclusion que ce n’est pas là notre rapport premier ni fondamental au langage.
§28 : équivocité de la définition ostensive
Ce mode de définition est possible et il peut être « exact » : on peut définir ainsi un nom de personne, de couleur, de matériau, de nombre, de point cardinal, et peut-être même n’importe quoi d’autre, et cela peut fonctionner.
Mais un tel acte est fondamentalement ambigu, « équivoque » : qu’est-ce qui est au juste désigné et associé au mot ?
« Deux noix » : désigne-t-on le nombre ou les noix ? Comment sait-on ce qui est montré et définit ainsi ?
Et si l’on dit « ceci s’appelle “noix” » en montrant deux noix, on – l’auditeur – pourrait penser que cela définit le nombre deux et non les fruits (que le référent du signe « noix » est le nombre deux). Ou encore, la forme des noix, leur couleur, etc.
Et cela vaut pour toute définition ostensive : « dans chaque cas, la définition ostensive peut être interprétée de diverses façons. (…) »
Et par là-même comme le précisera l’encadré : « Toute explication peut être comprise de travers », une définition ostensive peut toujours être mésinterprétée.
Comme vont l’approfondir les deux § suivants, cette équivocité tient à ce que l’on ne sait pas quelle est la « place », le « poste », le rôle de ce qui est ainsi défini.
Encadré :
On pourrait définir ostensivement par la négation : par ex. en montrant un échantillon de vert et en disant : « ceci n’est pas rouge ».
Ce n’est pas inconcevable, et ce ne serait pas, au fond, vraiment plus équivoque que par la voie affirmative : on aurait les mêmes ambiguïtés d’interprétation.
La différence consiste en autre chose, ce ne serait pas vraiment une « explication » du mot « rouge » : une telle définition négative jouerait un autre « rôle ».
Rôle d’un explication ostensive (réussie) :
- Critère d’emploi correct du signe : fournit les critères de l’emploi correct du mot « rouge » (or ici, il faudrait parcourir toutes les couleurs qui ne sont pas du rouge pour obtenir le même effet).
- Critère de désignation correcte de la chose : permet de désigner ce qui correspond au mot (or ici, c’est du vert qui est montré).
- Critère de compréhension correcte : permet de comprendre le sens du mot (ici, …)
On ne pourrait pas non plus vraiment dire, pour les mêmes raisons, que cela définirait le « non-rouge ».
Et ce, même si cela avait un effet réussi sur celui qui apprend.
Wittgenstein refuse une conception causale du sens : les conséquences pratiques font partie du mécanisme de l’apprentissage, non du système grammatical de règles.
§29 : mais ne peut-on lever cette équivocité ?
Ce paragraphe se présente comme une sorte de dialogue, qui met à l’épreuve l’objection de l’équivocité du §28.
En effet, on pourrait penser que l’équivoque devrait pouvoir être levée en spécifiant simplement le type de chose que l’on définit ostensivement : montrer ceci comme un nombre, montrer ceci comme une couleur, montrer ceci comme une propriété, etc.
Par ex. dire : « le nombre de ces noix est deux », « la forme de ces noix est la rondeur », etc. Ou encore : « cette couleurs’appelle ainsi et ainsi », « cette longueur s’appelle ainsi et ainsi ».
Ainsi, la « place », le « rôle » du mot défini, dans le langage ou la grammaire, serait elle-même montrée, et l’ambiguïté de la désignation levée.
Certes, mais Wittgenstein oppose à cela deux arguments.
1er contre-argument : l’équivoque ne serait levée qu’à la condition que le sens des mots « nombre », « forme », « couleur » soit en fait déjà compris et acquis.
Il arrive bien en effet que nous évitions des méprises ainsi, pour être sûr d’être bien compris par notre interlocuteur. Mais cela ne permet d’éviter la méprise que si le sens du mot « nombre » – c’est-à-dire sa place, son rôle dans le langage – est déjà compris de lui de manière correcte. Si ce n’est pas le cas, cette précision ne sera d’aucune utilité.
Pour que cette précision soit efficace, cela suppose que ces mots aient déjà été eux-mêmes expliqués et définis, donc par d’autres mots, et ainsi de suite… Ce qui nous plonge dans une désagréable régression à l’infini.
La parenthèse qui suit nous invite à ne pas succomber au vertige de cette régression (la recherche d’un fondement ultime ou absolu) : le fait qu’on puisse toujours construire une nouvelle maison dans une rue ne nous interdit pas ni ne nous empêche de désigner de manière sensée celle construite en dernier comme étant la dernière (de fait, pour le moment).
2e contre-argument : cette spécification du type n’est pas nécessaire à la définition ostensive réussie. Son absence ne la rend pas incomplète. Nous n’avons pas forcément besoin du concept de « couleur » pour pouvoir comprendre efficacement « ceci est rouge ».
Comment est compris tel ou tel mot : cela se montre dans l’usage qui en est ensuite fait, qui manifeste la place – comprise ou non – de ce mot dans le langage (dans tel ou tel jeu de langage).
Holisme sémantique : c’est à l’intérieur d’un tout, d’un système déterminé – la « grammaire » propre à un jeu de langage – que l’élément trouve sa place et son sens.
cf. § 26 et § 49 :
« Dénommer est analogue à attacher une étiquette à une chose. On peut dire que c’est une préparation à l’emploi d’un mot. Mais une préparation en vue de quoi ? » (26)
« Car dénommer et décrire ne se situent pas sur le même plan : La dénomination est une préparation à la description. Elle n’est pas encore un coup dans le jeu de langage, — pas plus que placer une pièce sur l’échiquier n’est un coup dans une partie d’échecs. On peut dire qu’en dénommant une chose, on n’a encore rien fait. Celle-ci n’a de nom que dans le jeu. » (49)
§ 30 : la définition ostensive présuppose la maîtrise du langage
« la définition ostensive explique l’emploi — la signification — d’un mot si le rôle que ce mot doit généralement jouer dans le langage est déjà clair »
Il faut connaître déjà les « règles » du jeu pour pouvoir pratiquer la définition ostensive : la compréhension et même l’identification de ce qui est désigné par un mot présuppose la connaissance du rôle / place de ce mot dans un jeu de langage déterminé, comme l’identification et la compréhension d’une pièce d’un jeu présuppose la connaissance du jeu et de ses règles (la pièce se définissant précisément par ce que l’on peut et ce que l’on a droit de faire avec elle dans le cadre du jeu : cf. plus loin l’analogie avec les échecs).
Autrement dit « l’ostension présuppose la conceptualisation ; et celle-ci présuppose une certaine maîtrise de la grammaire du langage » (Bouveresse, Le mythe…, 387).
Et cela vaut aussi pour les mots « savoir » et « être clair » eux-mêmes : le mot « savoir » n’a pas le même sens selon qu’il s’agisse de tel jeu de langage (tel domaine par ex. : savoir empirique, savoir physique, savoir mathématique, etc.)
« Il faut déjà savoir quelque chose (ou être capable de quelque chose) pour pouvoir poser une question sur la dénomination » : en ce sens, l’on peut dire que la dénomination vient après, est seconde, est un jeu de langage particulier à l’intérieur de langage et non son point de départ ni son fondement.
Que faut-il déjà savoir ? Et comment l’apprend-on ? Les §31 & 32 vont approfondir ce point.
2. La « connaissance » ou « maîtrise » des règles est première (§ 31 et 32)
§ 31 : analogie avec les pièces du jeu d’échecs
Comparaison ou analogie récurrente chez le second Wittgenstein, qui joue sur de multiples plans et dans les deux sens (langage ↔ jeu).
Ici la « pièce » – le morceau de bois ayant une certaine forme – est l’analogue du mot, du signe, plus précisément le signifiant (le représentant, le symbole : « la forme de la pièce du jeu correspond à la sonorité ou à la forme graphique d’un mot ») ; et le « roi » est le « sens » du mot (le représenté, le symbolisé), c’est-à-dire la fonction de cette pièce dans le jeu d’échec, ce qu’on peut et ce que l’on a le droit de faire avec.
La question analogique devient : Qu’est-ce que comprendre correctement le sens de ce morceau de bois ? Comment l’enseigne-t-on, comment l’apprend-on ? Est-ce par quelque chose comme une définition ostensive ?
Réponses analogiques :
– désigner la pièce de bois et lui donner son nom ≠ expliquer sa fonction dans le jeu
– or, connaître le sens de cette pièce, ce n’est pas savoir qu’on l’appelle « le roi », ni être capable de l’identifier, sans plus, c’est savoir quel est l’emploi de cette pièce dans le jeu d’échecs
1e situation : « Montrer à quelqu’un la pièce qui représente le roi aux échecs et lui dire : “ C’est le roi ” » (définition ostensive)
Une telle explication ostensive ne fait rien comprendre du tout, sauf dans un cas très particulier (qui confirme justement que la définition ostensive présuppose une autre connaissance).
Elle ne fait connaître, n’explique, ne définit quelque chose qu’à celui qui connaîtrait déjà les règles du jeu d’échecs et la place / le rôle du « roi » dans ce jeu, mais n’aurait jamais vu « la forme de la pièce qui représente le roi ».
On peut en effet imaginer quelqu’un qui connaîtrait les règles du jeu d’échecs « sans qu’une véritable pièce lui ait jamais été montrée ».
Notons que d’une telle personne on pourrait dire davantage qu’elle sait jouer aux échecs plutôt que de la personne qui connaîtrait l’apparence et le nom de toutes les pièces du jeu sans connaître leur rôle (leurs règles de déplacement, etc.).
2e situation :
Cette 2e situation va relativiser ce que signifie « savoir jouer aux échecs » – et donc, analogiquement avoir appris un langage : l’apprentissage ne passe pas nécessairement par un enseignement explicite et formel des règles ; il peut se faire par observation et imprégnation progressives.
Elle a pour but, à nouveau, de montrer qu’une définition / explication ostensive n’apprend quelque chose que dans des cas très particuliers, et toujours sur la base d’un savoir antérieur, même si celui-ci n’a pas été l’objet d’un enseignement formel, prévenant ainsi une objection possible.
Supposons un homme qui ait d’abord appris à jouer à un jeu de pions très simple (donc déjà familiarisé avec la « grammaire » des mouvements de pièces), puis à des jeux de pions de plus en plus complexes, mais qui ne saurait pas encore jouer aux échecs. Il aurait donc déjà acquis une certaine maîtrise des jeux de pions et du genre de règles qui les gouvernent, de leurs grammaires (toutes particulières mais ressemblantes : une « famille » de jeux).
A un tel homme, montrer la pièce du roi – inhabituelle pour lui – et la lui expliquer en disant « ceci est le roi » ce serait effectivement lui apprendre le sens, c’est-à-dire l’emploi de cette pièce : mais seulement « parce que sa place est pour ainsi dire déjà préparée », et ce parce qu’il « maîtrise déjà un jeu » (un jeu voisin, même si c’est un autre jeu).
Ce cas confirme donc le caractère second des définitions / explications ostensives, même lorsque le savoir antérieur qu’elles présupposent n’apparaît pas clairement faute d’avoir été explicite.
3e situation :
Même situation que la 2e mais là on ajoute à la pure définition ostensive – « c’est le roi » – une précision concernant la place de la pièce dans le jeu, ses règles d’emploi (comme tout à l’heure on ajoutait le mot « nombre » dans « ce nombre s’appelle deux »).
A nouveau Wittgenstein montre que cet ajout n’a de sens, n’apprend quelque chose à l’élève qu’à la condition que celui-ci sache déjà ce qu’est une pièce dans un jeu (de pions), qu’il ait déjà joué à des jeux de pièces (et donc soit déjà familiarisé avec la grammaire de ce type de jeux).
Les deux derniers paragraphes reviennent au langage : « Nous pouvons dire que seul quelqu’un qui sait déjà quoi faire du nom peut poser une question sensée sur la dénomination. »
Des questions du genre : « Comment s’appelle cette pièce ? », « Quel est le nom de cette pièce ? », « Est-ce cette pièce que l’on appelle “ le roi ” ? » n’ont de sens que pour quelqu’un qui sait déjà quoi en faire.
§ 32 : l’apprentissage d’une langue étrangère
L’apprentissage d’une langue étrangère est analogue à la 2e situation du § 31.
L’apprentissage d’une langue étrangère passe fréquemment par des explications ostensives, mais c’est parce qu’elle s’opère depuis la connaissance d’une première langue déjà acquise : l’image augustinienne est au fond de cet ordre, elle fait « comme si l’enfant allait dans un pays étranger dont il ne comprenait pas la langue ; c’est-à-dire, comme s’il était déjà en possession d’un langage, mais pas de ce langage-là. »
« Il serait comme quelqu’un qui connait déjà les positions et les mouvements des mots sur l’échiquier du langage, et à qui il ne manque que les mots eux-mêmes » (Bouveresse, 390).
Il y a là comme un « cercle de l’apprentissage du langage » (Bouveresse, 387).
Mais il n’y a ici cercle que parce que l’on suppose justement que cet apprentissage consiste essentiellement en définitions ou explications ostensives : on cherche alors, en vain, un moment fondateur et originel de dénomination (le « baptême » dont il sera question au § 38). Mais il peut consister aussi en un « dressage » (training) comme l’avait souligné déjà le §5, et comme viennent de l’illustrer les situations 2 et 3 du § 31. Le plus souvent, apprendre un langage consiste d’abord à apprendre à agir et réagir d’une certaine manière d’après ou avec un signe dans un contexte de situation déterminé : apprendre à « jouer », en jouant.
3. L’objection de la visée mentale et des « expériences caractéristiques » (§ 33 à 35)
Les § 33 à 35 s’appliquent à répondre à deux nouvelles objections qui permettraient de « sauver » l’hypothèse du rôle fondateur des définitions ostensives, en levant leur équivoque.
Il s’agit d’une part – § 33 et 36 – de l’hypothèse d’une « attention », d’un « vouloir-dire » qui accompagnerait les définitions ostensives : intervention d’une activité mentale de visée (des deux côtés : enseignant / apprenant), qui donnerait le sens pour ainsi dire de l’intérieur.
D’autre part de celle d’« expériences caractéristiques » (externes) qui manifesteraient cette visée intérieure et la donnerait ainsi à comprendre à autrui (§ 34 et 35).
§ 33 : l’hypothèse de la visée mentale
Le premier § du §33 commence par poser l’objection.
Il est certes nécessaire de savoir (ou de deviner) ce que montre précisément celui qui donne une définition ou explication ostensive, mais pour cela « il n’est pas vrai qu’il faille déjà maîtriser un jeu de langage » : il suffit de saisir ce que veut montrer celui qui montre, et cela revient finalement à saisir sur quoi son attention s’est fixée, de saisir le « meaning » spécifique qui a accompagné son geste.
En effet, qu’est-ce qui distingue « montrer un morceau de papier », « montrer sa forme », « montrer sa couleur », « montrer son nombre », étant donné qu’il s’agit chaque fois du même geste (équivoque) ? Ces monstrations se distingueraient donc par l’attention intérieure qui les accompagne.
« Tu diras que par montrer, tu as “entendu” [Gemeint] quelque chose de différent à chaque fois. Et si je te demande comment cela se fait, tu diras que tu as fixé ton attention sur la couleur, la forme, etc. »
Wittgenstein souligne alors que, même si l’on accorde cette idée d’attention ou de visée spécifique, « prêter attention à la couleur » est une expression qui reste elle-même équivoque.
Les divers emplois du mot « bleu » montrent que chaque fois ce n’est pas la même « chose » qui est montrée ni visée, bien qu’il s’agisse chaque fois de la couleur bleue.
Ce qui est visé est chaque fois déterminé par le rôle de l’échantillon dans le contexte : la manière appropriée de s’en servir dans telle ou telle activité, donc à nouveau une certaine grammaire.
De même jouer un coup aux échecs ne consiste pas à déplacer simplement une pièce sur l’échiquier de telle ou telle manière, ni à la déplacer en « pensant » en même jouer aux échecs, en ayant l’intention de jouer un coup d’échec : ce sont plutôt l’ensemble des « circonstances que nous nommons : “ jouer une partie d’échecs ” » qui font de ce déplacement un coup aux échecs (qui lui donnent son sens).
Et d’ailleurs, comment autrui pourrait-il saisir cette vidée intérieure puisqu’elle est précisément supposée intérieure ? D’où la dernier refuge de l’objection : les « expériences caractéristiques ».
§ 34 – 35 : l’hypothèse des « expériences caractéristiques »
La visée intérieure serait toujours accompagnée de certaines expériences ou attitudes caractéristiques qui permettraient du coup de l’identifier sans équivoque.
Par ex. viser la forme d’un objet (plutôt que sa couleur) en le montrant s’accompagnerait d’un mouvement des yeux consistant à suivre cette forme des yeux.
Mais à supposer que cela soit le cas, qu’est-ce qui garantirait que cette attitude soit correctement interprétée par autrui comme le fait de viser la forme ?
Expliquer / comprendre « de telle ou telle manière » ne consistent pas dans des processus qui accompagneraient l’explication / interprétation et en assureraient mystérieusement la concordance dans l’esprit des deux personnes. Cette concordance est ici une fois de plus présupposée plutôt qu’expliquée.
§ 35 :
Il y a de telles expériences caractéristiques, mais d’une part celles-ci ne sont pas systématiques.
D’autre part, même s’il y avait des expériences caractéristiques systématiques de montrer comme ceci ou cela, la réussite de l’explication « dépendrait des circonstances — en d’autres termes, de ce qui se produit avant et après que l’on montre. » C’est-à-dire plus largement du contexte et du jeu de langage qui le caractérise.
Enfin, il faut faire aussi faire des différences entre divers actes de « montrer » (« montrer » est lui-même un terme équivoque, appartenant à divers jeux de langage).
Montrer ceci (au sens d’un nom propre, d’une chose singulière : une personne par ex.) ≠ montrer une couleur, une forme, etc. (la propriété appartenant à une chose).
Reconnaître, souhaiter, se souvenir : ne sont pas non plus suffisamment caractérisés par telle ou telle expérience qui les accompagnent, car ce sont aussi des termes équivoques en qu’ils sont employés dans différents jeux de langage).
Encadré :
« superstition »
Vouloir dire ≠ se représenter quelque chose, imaginer.
Un manuscrit de W. demande à distinguer ces 2 énoncés, qui tous deux « montrent » :
- « ce livre a la couleur appelée “rouge” » : énoncé factuel
- « la couleur, que ce livre a, est appelée “rouge” » : énoncé grammatical
§ 36 :
Syndrome philosophique cherchant à répondre à ce qui semble un insoluble problème : mentalisme et platonisme.
Tentation d’introduire une « activité de l’esprit », faute de pouvoir identifier une action corporelle.