Les §18 à 27 explorent de manière critique l’un des ingrédients de l’image augustinienne du langage (selon lequel les phrases sont des combinaisons de noms fonctionnant comme descriptions exprimant des « volontés »), tout en approfondissant la réflexion entamée sur les jeux de langage des §2 et 8. Selon cette image saisir le sens d’une phrase – sa meinung, son meaning – c’est comprendre ce qu’elle décrit, et donc ce que ses constituants désignent et comment ils sont combinés. Wittgenstein va mettre en question cette conception du sens en montrant qu’elle ne rend pas compte des critères de la compréhension ni de l’extrême diversité des usages du langage.
1. Qu’est-ce qu’un langage complet ? (§18 et début du §19)
Ce paragraphe ouvre cette séquence sur la diversité des jeux de langage, qui fera plus spécifiquement l’objet des §23 à 25.
Il s’agit d’une sorte d’objection que W. soulève contre son argument des jeux de langage 2 et 8.
Les langages 2 et 8, qui consistent uniquement en ordres, troublent car :
- ils paraissent incomplets, des tas de types de phrases (et même, semble-t-il, des phrases tout court…) et d’usages semblent leur manquer : mais en leur genre ils sont complets (ils fonctionnent).
- il est malaisé, pour ne pas dire impossible, de les comprendre en termes de « description », puisque les ordres ne sont pas des assertions (affirmation concernant un fait, un état du monde), susceptibles d’être vraies ou fausses. (Rappelons que la bi-polarité vrai/faux était un critère essentiel du langage sensé pour le TLP). Qu’est-ce qu’un ordre vrai ou faux ? (il faudrait plutôt parler d’un ordre exécuté/obéi ou non, suivi d’effet ou non, réussi ou manqué : critère pragmatique et non théorique). Mais alors s’agit-il vraiment d’un langage ?
W. répond d’abord ici à l’objection de l’incomplétude, par une question – qu’est-ce qu’un langage complet ? Notre langage est-il complet ? – et une analogie.
Analogie du langage et de la ville, de ses quartiers, de ses faubourgs, de son histoire (empruntée, selon Hacker, au physicien Ludwig Boltzmann, qui l’utilise pour décrire l’évolution de la science) : qu’est-ce qu’une ville complète ? Le fait d’ajouter un nouveau quartier signifie-t-il que la ville était auparavant incomplète ? (non).
Le §23 soutiendra à son tour que le / un langage est indéfiniment extensible, que de nouveaux jeux de langage sont toujours possibles. Et cela n’a pas de sens de dire que notre langage était incomplet avant les nouvelles extensions que furent le symbolisme chimique et la notation infinitésimale.
De même cela n’aurait pas de sens de dire que le jeu de dames est incomplet car il ne comporte qu’un seul type de pièces (par rapport aux échecs par ex.). Ou de dire qu’une arithmétique « primitive » ne comprenant que « 1, 2, 3, 4, 5, beaucoup » est incomplète par rapport à l’arithmétique des nombres entiers, etc. : aucune incomplétude – aucun gap – n’existe dans une telle arithmétique primitive, au sens où toutes les quantités peuvent être nommées. Ou que les nombres entiers sont incomplets par rapport aux nombres décimaux, réels ou rationnels.
§19 : d’autres langages ou jeux de langages, ou systèmes de communication, aussi peu incomplets que 2 & 8, peuvent facilement être imaginés : ordres + constats / rapports (guerre) ; questions / réponses binaires (oui/non) ; etc.
Autrement dit, un langage digne de ce nom ne contient pas nécessairement des descriptions : il y a langage, en un sens, dès qu’il y a un système de communication correspondant à une « forme de vie ».
1e occurrence du concept de « forme de vie » (Lebensform), l’un des concepts nouveaux et importants de « Wittgenstein II » (il sera repris au §23 puis une dizaine de fois dans l’ensemble des RP) : se représenter un langage (comme les jeux primitifs dont il est question ici), c’est se représenter une « forme de vie », c’est-à-dire un certain contexte pratique ayant des règles propres. Un des tout premiers textes à utiliser cette expression la définit comme « une façon d’agir régulière » (texte de 1937, cité en note p. 330 des RP). Le Cahier brun parle plutôt de « cultures » voire de « tribus » (« un langage (…) cela veut dire une culture », Cbr 213).
2. Qu’est-ce qui distingue une phrase d’un mot ? (§19 et 20)
Nouvel argument contre l’image augustinienne du langage à travers l’évocation d’une possible objection contre le jeu de langage 2, et une sorte de dialogue fictif entre l’objecteur et W.
Le cri « Dalle ! » du langage 2, est-ce un mot ou une phrase ? :
- si c’est un mot, il n’a pas le même sens que dans le langage courant (car c’est un mot, ici, qui vaut ordre, alors qu’il y a bien d’autres usages de ce mot dans notre langage) ; ce mot serait donc ici plutôt une phrase… ?
- mais si c’est une phrase, ce n’est pas la même que notre phrase elliptique « Dalle ! » (équivalente à « apporte-moi une dalle ! »), car, par hypothèse, le constructeur A ne dispose pas de telles phrases développée.
- l’objection est dans l’impasse, mais W. rétorque qu’on pourrait dire les 2, et qu’au fond la question – et donc l’objection – n’a pas vraiment de sens.
L’expression « Dalle ! » dans le langage 2 est à la fois un mot et une phrase, et a le même sens, sous une forme dégénérée ou abrégée, que notre phrase développée « Apporte-moi une dalle ! », en tant qu’elle a la même fonction.
« hyperbole dégénérée » : notion mathématique ; un objet dont la définition fait apparaître des éléments redondants ou superflus, se ramenant parfois à une définition plus simple ; par ex. un cercle dégénéré (rayon nul).
D’ailleurs, on pourrait tout aussi bien considérer « Apporte-moi une dalle ! » comme la forme développée de « Dalle ! ».
Faut-il supposer que lorsqu’on dit « Dalle ! », on se dit intérieurement une phrase complète telle que « Apporte-moi une dalle ! » ? (auquel cas la forme ne serait abrégée que côté langage, et il y aurait d’un côté le sens pensé intérieurement qui serait le « vrai » vouloir-dire, de l’autre son expression verbale).
Mais pourquoi la phrase non abrégée serait-elle davantage signifiante que la phrase abrégée ?
Ainsi le problème se focalise maintenant sur la nécessité ou non de supposer le doublage du langage extérieur (adressé à autrui) par une sorte de langage intérieur ou interne : dire quelque chose qui a du sens (dire une phrase à autrui) suppose-t-il toujours de se dire à soi-même une autre phrase qui en contient le sens ?
Dans l’ex. du langage 2, « vouloir dire » consiste à vouloir produire un effet (l’exécution de l’ordre) : vouloir qu’il m’apporte une dalle. Mais pourquoi vouloir cela supposerait-il de « penser, sous une forme ou une autre, une phrase différente » de celle que l’on dit ?
La question profonde qui se profile ici est celle du « vouloir-dire », du faire ou du donner sens, et par là, notamment, celle de la pensée intérieure ou de l’esprit.
Importance du verbe meinen et de son équivalent anglais mean (et leurs dérivés), dans toute leur polysémie (sans équivalent en français) : vouloir dire, penser, entendre, comprendre, avoir en vue, viser, avoir une opinion, etc.
Cf. note des traducteurs des RP p. 17 : « l’un des objectifs du texte [des RP] est d’explorer les différents sens du meinen et d’en établir l’irréductibilité » ;un astérisque à chaque fois qu’il s’agit du lexique de la Meinung.
§20 : la « complexité » – le caractère combiné – d’une phrase est en rapport avec celle d’autres phrases ; on peut dire qu’il y a x constituants dans telle phrase parce qu’on considère ou perçoit ces constituants comme des sortes de variables qui apparaissent dans d’autres phrases possibles.
Mais « employer une phrase par opposition à d’autres, en quoi cela consiste-t-il ? »
Cela ne correspond pas à un mécanisme mental : lorsque nous utilisons une telle phrase (et la considérons comme composée), nous n’avons pas en même temps en tête toutes les combinaisons possibles de ses éléments constituants.
Autrement dit nous percevons « Apporte-moi une dalle » comme une phrase, comme une combinaison articulée de plusieurs signes parce que nous avons une certaine maîtrise de notre langue. Un étranger ne percevrait pas nécessairement ce caractère combiné ou complexe.
En fait, tout ceci n’a de sens que dans le contexte global d’un langage ou d’un jeu de langage déterminé. Plus loin le §49 dira explicitement : qu’un signe R « soit “un mot ou une phrase“ dépend de la situation dans laquelle il est prononcé ou écrit. »
Avons-nous des raisons de supposer qu’il se passe quelque chose « à l’intérieur » (de l’esprit) en plus de ce qui a lieu dans le langage lui-même ?
Pour celui qui maîtrise une langue, cette maîtrise n’implique pas la conscience de la composition de l phrase, au moment où il prononce celle-ci. Cette maîtrise elle-même n’est pas consciente, au sens où elle n’accompagne pas l’usage de la langue, la prononciation des phrases.
Une phrase elliptique n’est pas une phrase tronquée du point de vue de son sens – sens dont on supposerait alors qu’il devrait être complété intérieurement par le locuteur et l’auditeur – mais simplement une forme abrégée. Dans le jeu de langage 2, il ne manque rien à « Dalle ! » : elle a le même sens (dans 2) que « Apporte-moi la dalle ! » dans le langage ordinaire.
Mais quand on dit que deux phrases ont le « même sens » que veut-on dire ? Cela implique-t-il que ce sens unique puisse ou même doive être exprimé par certains mots (qui en seraient comme la forme privilégiée ou idéale) ? Cette identité ne consiste-t-elle pas plutôt tout simplement dans l’identité de leur usage ?
Quand les russes disent : « Pierre rouge », le sens de la copule est bien présent à même la phrase (il n’est pas rajouté en pensée).
3. Qu’est-ce qui distingue un ordre d’une assertion ? (§21 et 22)
Réflexions sur les catégories de phrases.
« Cinq dalles » – ou « dalles rouges », ou « dalles hexagonales » – pourrait aussi bien constituer :
- une assertion, un constat décrivant le nombre / couleur / forme de dalles
- un ordre, comme dans le jeu 2, d’apporter des dalles ayant ces caractéristiques
On pourrait penser que ce qui permet de les distinguer, c’est la manière de les dire, leur « prononciation » au sens large (ton, visage, etc.).
Ou bien que c’est leur forme grammaticale : exclamation, affirmation, interrogation, etc.
Mais plus fondamentalement, l’usage et son contexte.
Elles pourraient ne pas se distinguer du point de vue de leur prononciation, tout en ayant une fonction différente (comprise).
Des phrases peuvent avoir différents fonctions, tout en étant de même forme grammaticale.
Des phrases peuvent avoir même fonction, tout en étant de différentes formes grammaticales.
W. souligne la différence qu’il faut faire entre forme grammaticale (affirmation, etc.) et rôle effectif de la phrase dans tel ou tel usage :
- une question peut être employée comme assertion – question rhétorique (« Ne fait-il pas un temps magnifique aujourd’hui ? »)
- une forme interrogative pourrait aussi bien être employée comme ordre (« Aimerais-tu faire cela ? »)
- une affirmation au futur peut aussi bien être employée comme prophétie que comme ordre (« Tu feras cela »)
On pourrait également penser que ce qui distingue un ordre d’une assertion, c’est le « vouloir-dire » (meaning) du locuteur, conçue comme une intention de signifier ceci ou cela présente dans son esprit au moment où il parle (et que l’auditeur devra également reconstituer intérieurement). Mais W. ne discute pas ici de cette hypothèse, qu’il récuse.
§22 : critique de la conception frégéenne de l’assertion
Frege sépare le contenu de l’assertion de l’acte de l’assertion : cela constitue une « défense sophistiquée » de l’image augustinienne (Hacker).
Pour Frege, le même sens, la même pensée est contenue dans des actes de parole différents : affirmation, négation, question, désir, etc.
Par ex. : « j’affirme qu’il pleut », « je nie qu’il pleut », « je désire qu’il pleuve » auraient le même contenu de sens (« qu’il pleut » ou « le fait qu’il pleuve »), en quelque sorte supposé. Les différences consisteraient seulement dans l’attitude du locuteur à l’égard de ce contenu de sens (« attitude propositionnelle »).
Pour Frege, le langage naturel masque cette distinction et c’est là un défaut à laquelle une idéographie doit pouvoir remédier. D’où l’introduction et l’utilisation par Frege et Russell du « signe d’assertion » (┣ ), placé devant les propositions proprement dites.
Faire une assertion, c’est asserter quelque chose, qui serait pour ainsi dire d’abord « nommé »: asserter p ou asserter que p, « que ceci et cela est le cas » (pour s’exprimer comme Wittgenstein, dès le TLP).
Cette thèse de Frege – partagée par Russell – va dans le sens de l’image augustinienne parce qu’elle permet de maintenir l’idée qu’il y a toujours une dimension descriptive dans tous les actes de langage, qu’il s’agisse d’assertions, d’ordres, de désirs, etc. Dans cette perspective, il est tentant de dire qu’un ordre par ex. est la description de ce qui doit être fait, etc. Elle tend à identifier, conformément à une longue tradition, dénomination et signification.
Wittgenstein résume cette conception en écrivant que selon Frege « l’assertion contient une supposition [ou assomption, du verbe assumer] qui est ce qui est asserté ». Mais il considère que ceci ne tient qu’au fait qu’il est effectivement possible « dans notre langage, d’écrire toute phrase assertorique sous la forme : “Il est asserté que ceci et cela est le cas” », et souligne que le caractère superflu, et donc non-significatif, de cet ajout. Dire « j’affirme qu’il pleut » ou « il est vrai qu’il pleut » ne dit rien de plus que « il pleut ».
D’ailleurs, bien d’autres réécritures seraient possibles, comme par ex., sous la forme d’une question suivie d’une réponse affirmative. Prendre au sérieux un tel fait aboutirait à la conclusion absurde que toute assertion contient une question !
Rappelons que le TLP (notamment 5.542) mettait déjà en question l’utilité du signe d’assertion, et même avant lui les Notes sur la logique : « le signe d’assertion n’a aucune signification logique. (…) l’assertion est purement psychologique. Il n’y a que des propositions sans assertion. »
Le fond de l’objection de Wittgenstein est, semble-t-il, que ce contenu de sens considéré indépendamment de l’acte est une chimère : « ce n’est pas encore un coup dans un jeu de langage ». C’est une simple dénomination mais pas encore une véritable proposition. De même que disposer les pièces sur un échiquier n’est pas encore jouer aux échecs : c’est une préparation au jeu.
cf. RP, §49 :
« Car dénommer et décrire ne se situent pas sur le même plan : La dénomination est une préparation à la description. Elle n’est pas encore un coup dans le jeu de langage, — pas plus que placer une pièce sur l’échiquier n’est un coup dans une partie d’échecs. On peut dire qu’en dénommant une chose, on n’a encore rien fait. Celle-ci n’a de nom que dans le jeu. »
Cf. titre de l’article de Bruno Ambroise et Valérie Couturier (in Lire les RP…) : « Nommer n’est pas jouer ».
Un tel signe est permis, en tant qu’il permet de distinguer l’assertion par ex. d’autres actes, mais il est trompeur en tant qu’il incite à voir deux actes là où il n’y en a qu’un, l’un qui serait le meaning pur (le contenu de sens) et l’autre le fait d’asserter ce contenu (comme acte de jugement intérieur à l’esprit). Comme si une phrase n’était qu’un ensemble de signes morts qui réclamaient d’être animés par un acte mental.
Analogie trompeuse avec le fait de chanter d’après une partition :
Cf. passage important du Cahier bleu : lire p. 90.
Le signe frégéen a un rôle voisin de celui de parenthèses permettant de déterminer le début et la fin d’un contenu de pensée, mais rien de plus.
Note encadrée (très controversée selon Hacker : on ne sait pas ce W. que voulait faire de ces notes)
L’image d’un boxeur dans une certaine position n’est encore qu’un « radical de phrase » (comme un radical libre en chimie, ou peut-être ce qu’on appelle plutôt maintenant « groupe ») qui ne fera vraiment sens qu’inséré dans un certain usage et contexte de langage : séparée de tout contexte, elle ne signifie rien (elle peut tout signifier).
On peut y voir une critique implicite de la théorie de l’image du TLP, dans la mesure où cela montre qu’il ne suffit pas de saisir la structure d’une image (d’une proposition) pour en saisir le sens car celui-ci dépend en plus – voire surtout – de l’usage contextuel qui en est fait.
4. L’extrême diversité des jeux de langage (§23 à 25)
Il y a d’innombrables catégories de phrases, ou plus largement encore d’innombrables « catégories d’emplois différents de ce que nous nommons “signes”, “mots”, “phrases” ».
Extrêmes diversité et variabilité des jeux de langage : cf. §18 et l’analogie de la ville.
« L’expression “jeu de langage” doit ici faire ressortir que parler un langage fait partie d’une activité [Tätigkeit], ou d’une forme de vie [Lebensform]. »
Activité : contexte pratique, situation ; parler est une sorte d’acte qui prend lui-même son sens à l’intérieur d’un contexte pratique plus large (et non exclusivement linguistique).
« Forme de vie » : concept important du 2e W. ; contexte mi-naturel, mi-culturel ; contexte pratique le plus large ; manière régulière d’agir selon des règles plus ou moins conscientes qui en constituent l’arrière-plan ;
Ainsi, par ex. le jeu de langage « ordonner / obéir » fait partie d’une situation de commandement / obéissance (l’armée, etc.) ; et cette situation elle-même renvoie à une « forme de vie » particulière qui rend possible et implique ce type de relation.
Dans une situation de commandement, nul besoin d’ajouter « je te donne l’ordre de » devant chacune des phrases qui fonctionnent comme des ordres.
cf. plus loin §25 : il y a des jeux de langage propres au langage humain, à la « forme de vie » humaine.
Enumération d’un certain nombre de jeux de langage, qui appartiennent à des activités et formes de vie différentes, qui à la fois se ressemblent et se distingue (remarquer les regroupements croisés possibles entre ces ex.).
W. nous demande de comparer cette extrême diversité de la vision simplificatrice des logiciens, y compris de l’auteur du TLP, pour l’y opposer.
§24 : myopie et pathologie philosophiques
Négliger cette diversité nous conduit – maladie philosophique – à de faux problèmes ou à des interrogations dépourvues de sens : essentialisme et « monisme ».
« Qu’est-ce qu’une question ? »
Cet énoncé est trompeur car il présuppose l’unité ou l’unicité d’une forme : une question, c’est-à-dire toute question, négligeant la multiplicité des usages des formes interrogatives.
Cette 1e illusion peut se doubler d’une seconde, liée à la conception ostensive du langage, qui identifie sens et dénomination.
On en vient ainsi à croire qu’une question consiste par nature dans « la description de l’état d’âme d’incertitude dans lequel » on se trouve. Le sens de « Pleut-il ? » par ex. consisterait dans la description de l’ignorance de celui parle par rapport au temps qu’il fait, etc.
« Au secours ! » peut-il être considéré comme la description d’un état de fait ?
D’ailleurs, « Qu’est-ce qu’une description ? » : c’est aussi une question trompeuse.
Décrire scientifiquement la position d’un corps ≠ décrire l’expression d’un visage ≠ description d’une expérience intérieure, etc. Il y a là différents jeux de langage, qu’on ne peut identifier (au mieux, ils ont des « airs de famille »).
Cf. RP §291 : « Se représenter une description comme une image verbale des faits risque de nous induire en erreur »
Certes toute question pourrait être reformulée sous la forme d’une assertion, mais cette possibilité est également trompeuse, et c’était justement l’objet des §21 et 22 et de la critique de Frege.
De même, toutes les assertions pourraient être transformées en « descriptions de ma vie intérieure » : au lieu de « il pleut », « je pense qu’il pleut », etc. (cf., en un sens, Descartes et le cogito)
Le solipsisme, et « les controverses entre idéalistes, solipsistes et réalistes », dont il était déjà question dans le TLP, feront l’objet plus plus particulièrement du §402.
§25 : les animaux parlent-ils ?
C’est compliqué…
La tradition soutient généralement que les animaux ne parlent pas parce qu’ils ne pensent pas (la parole étant le moyen d’extérioriser la pensée) : cf. typiquement Descartes (Lettre au marquis de Newcastle, par ex. : « ce qui fait que les bêtes ne parlent point comme nous, est qu’elles n’ont aucune pensée, et non point que les organes leur manquent »). La pensée – conçue comme une sorte de discours intérieur, déjà chez Platon – est ainsi considérée comme la condition et le préalable de la parole.
Certes, en un sens, les animaux ne parlent pas, mais cela signifie plus exactement, pour Wittgenstein, qu’ils « n’emploient pas le langage » – ou mieux notre langage – mais peut-être seulement un langage plus primitif et plus simple, comportant moins de jeux de langage que le nôtre. Cela signifie plus largement – et au-delà du seul langage – qu’ils n’ont pas la même forme de vie que nous, pas la même « histoire naturelle » (physiologie, anatomie, comportement, culture, etc.).
5. Parler est bien autre chose que dénommer (§26 et 27)
Retour implicite à Augustin : « on croit que… » (apprentissage ostensif) et retour sur la réduction abusive du langage à la dénomination descriptive.
Dénommer n’est pas encore parler, ni même employer un mot : c’est au mieux une « préparation à l’emploi d’un mot ». Un emploi en vue de quoi ?
§27 : le partisan de l’image augustinienne répondrait une préparation pour « parler des choses » (über sie reden, talking about), nous référer (beziehen) à elles en parlant.
Mais même l’idée de « préparation pour parler des choses » est ambiguë, car elle invite d’une part à penser que les emplois du mot sont comme contenus d’avance dans le mot lui-même et sa fonction référentielle, et d’autre part qu’il n’y a qu’une seule manière de « parler des choses », qui consisterait simplement à y faire référence et à les décrire. On « parle des choses » selon différents jeux de langage : l’expression nue est bien trop abstraite et générale.
Dénommer, c’est souvent d’abord seulement pouvoir appeler au sens d’interpeller (cf. dernière remarque du §): un enfant emploie le mot « maman » d’abord pour l’interpeller, bien avant de pouvoir « parler d’elle ».
Nouvelle énumération (de simples exclamations en un mot !) : elles ont des fonctions fort différentes les unes des autres, et aucune d’entre elles n’est vraiment une « dénomination d’objet ».
Dénommer est un jeu de langage (parmi d’autres) auquel nous sommes dressés (et renvoyant ainsi à une « activité » et à une « forme de vie »), dont voici quelques-uns des « coups » : demander le nom de quelque chose, donner un nom à quelque chose ou à quelqu’un, etc.