Lecture des §143 à 155 : que veut dire comprendre quelque chose ?

Ces paragraphes ouvrent une longue séquence des RP (143-184), consacrée à la signification et la compréhension.

Comprendre, VerstandUnderstand.

Thèse sous-jacente : une théorie de la signification est une théorie de la compréhension (correctement envisagée) ; une théorie de la compréhension correctement envisagée doit être « pragmatique » (décrire la capacité de comprendre et ses manifestations, dans un certain contexte pratique) et attentive à la diversité de ce que peut signifier « savoir », « comprendre », et « pouvoir » (être capable de).

§143-147 : introduction du problème

§143

Un jeu de langage est pris comme exemple pour saisir ce qu’est comprendre une règle et savoir l’appliquer : la suite des nombres entiers, enseignée par A à B.

On peut en effet comparer la compréhension d’un mot à la capacité d’appliquer correctement une règle (par ex., continuer d’appeler « chat » les animaux de cette espèce).

Comprendre est d’abord une capacité de faire quelque chose correctement et de manière stable. Mais comment s’acquiert-elle ? Quand peut-on la considérer comme acquise ?

1e niveau : B doit recopier la liste écrite par A (de 0 à 9)

Déjà diverses possibilités d’erreur et de mécompréhension entre A et B: par ex. copie désordonnée (2, 5, 0, etc.) ; copie partielle ; erreur fortuite ou erreur systématique ;

§144

Commente la dernière phrase du §143.

« la capacité d’apprendre de notre élève peut s’interrompre » : il ne s’agit pas d’attirer l’attention sur le fait que ce soit possible (ou déjà arrivé).

L’enjeu de cette remarque est de changer notre perspective.

§145

2e niveau : la suite 0-9 est acquise, on continue…

Elle ne peut être considérée comme acquise que s’il est capable de la refaire « souvent », et de manière volontaire (pas par hasard).

Mais avec quel taux de réussite ? (non déterminable).

« l’effet de toute explication supplémentaire dépend de sa réaction. » : cette réaction n’est jamais garantie.

3e stade : la suite est poursuivie par l’élève

Mais jusqu’où ?

Suivent des objections.

§146

La question rencontre une objection : comprendre le système n’est pas être le développer jusqu’à tel ou tel point ; la compréhension paraît être un état (mental) d’où découle l’application, non l’inverse.

Par ex. : formule algébrique en tête

Réponse : il y a plusieurs manières d’appliquer une formule algébrique (une règle) ; réf. à un passage antérieur (régression à l’infini) ;

Donc « l’application demeure un critère de la compréhension. »

§147

Relance de l’objection, via l’asymétrie 1e / 3e personnes : l’application ne peut pas être le critère de la compréhension, car la (ma) connaissance de la loi algébrique ne (me) paraît pas issue d’une série d’applications.

Elle paraît plutôt être un état ou un processus intérieur, que chacun reconnaît en lui-même (« je pense à telle ou telle suite »).

§148-150 : comprendre, est-ce un état psychique, comparable à d’autres ?

Est-ce un état, un processus, un événement psychique ?

§148

Quand sait-on ce que l’on sait ? Combien de temps ?

§149

On pense à un « état psychique » (au sens d’une « disposition »), dont les applications seraient les manifestations.

Note a : supposons que la compréhension soit un état. Quel genre d’état ? Un état psychique (comme un sentiment, par ex.) ?

Les sentiments peuvent être situés dans le temps, durer (être continus) un certain temps, cesser, etc. : leur grammaire le montre.

Mais la compréhension d’un mot ?

On peut dater le début de la compréhension d’un mot : point commun avec les sentiments.

En revanche l’alternative continu / discontinu ne paraît pas convenir : on ne dirait pas « je comprends ce mot depuis hier sans interruption ».

On peut cesser de comprendre un mot : dans quels cas ?

Note b : quand sais-tu jouer aux échecs ? Toujours ? Sans interruption ? Seulement au moment où tu joues ? Et que sais-tu à chaque coup ? Sais-tu tout du jeu ?

Savoir quelque chose ne prend pas de temps : ce n’est ni un état, ni un processus, ni un événement.

§150

Revenons à la grammaire la plus évidente du mot « savoir ».

Apparentée à la fois à « pouvoir » (capacité, disposition) et à « comprendre » (maîtriser une technique).

Savoir, comprendre, être capable de faire quelque chose sont des capacités, non des états ou des processus.

§151-155 : comprendre, est-ce un événement ?

§151

Mais il y a aussi un autre emploi du mot « savoir » ou « comprendre » : quelque chose qui apparaît ou se produit en un instant (un événement psychique).

Comment y est-il parvenu ? On ne sait pas…

1. Par essais et erreur, en faisant des hypothèses et en les testant (comme en science), il en trouve la formule algébrique

2. Il voit la suite des différences, ce qui lui permet de poursuivre (ça marche aussi)

3. Il reconnaît cette suite elle-même – apprise par cœur par ex. – et la répète (sans utiliser aucune méthode pour la construire)

4. Il continue la suite (sans plus)

§152

Est-ce cela la compréhension ? Tout cela ? Seulement cela ?

Comprendre / savoir la logique de la suite ne peut pas consister seulement dans le fait d’avoir à l’esprit la formule algébrique qui lui correspond. La formule pourrait venir à l’esprit sans qu’il y ait compréhension de la logique de la suite.

Ni consister dans aucun des « processus d’accompagnement » envisagés par le §151.

§153

Nous n’arrivons pas à saisir le processus psychique (caché) que nous croyons constituer la compréhension.

D’abord, plusieurs sont possibles.

Ensuite, même si quelque chose d’intérieur se produisait systématiquement lors de la compréhension, cela n’en ferait pas pour autant l’essence (le critère définitionnel).

§154

« Au sens où il y a des processus caractéristiques de la compréhension (y compris des processus psychiques), la compréhension n’est pas elle-même un processus psychique. »

§155

« pour nous, ce sont les circonstances dans lesquelles il a eu cette expérience qui l’autorisent à dire qu’il comprend, qu’il sait comment continuer. »

Autrement dit, le critère de la compréhension est à situer dans le contexte pratique, non dans le processus psychique intérieur du sujet.