Lecture des §108 à 133 : qu’est-ce que la philosophie ?

La « nature de la philosophie » est l’objet central des §89 à 133 : « En philosophie, il n’y a pas une méthode, mais bien des méthodes, comme autant de thérapies différentes. » (fin du §133)

Baker : la conception wittgensteinienne de la philosophie est largement opposée à celle de Russell, et ce depuis le début.

Pour ce dernier, la philosophie est la plus générale des sciences ; elle doit adopter la « méthode scientifique » (notamment l’analyse et l’hypothèse) et s’approcher graduellement de la vérité objective (la résolution de problèmes). Son enjeu et problème central est celui de la nature et des fondements de la connaissance : l’épistémologie – philosophie de la connaissance – est son centre de gravité.

Selon Baker, la conception wittgensteinienne de la philosophie est assez stable durant l’ensemble de son œuvre : bien que ses méthodes et ses résultats fassent l’objet de remaniements substantiels, son statut, en particulier, de la philosophie – et son rapport avec les sciences – change assez peu.

La philosophie doit être strictement distincte de la science, du point de vue du but comme de celui de la méthode : la philosophie n’est pas hypothético-déductive ; elle n’explique rien mais seulement « décrit » ; elle est concernée par le sens et le non-sens, non par la vérité et la fausseté.

Le TLP, considérant que la tâche de la philosophie se résume à déterminer les limites du sens (dicible et pensable), estimera la tâche accomplie, tout en en reconnaissant le non-sens (son ineffabilité).

Baker : « les questions philosophiques ne sont pas des questions à la recherche de réponses, mais des questions à la recherche de sens » (478).

Pas à proprement de « découverte » en philosophie : de même nous ne pouvons pas découvrir une nouvelle règle aux échecs, mais seulement en inventer une (mais c’est alors un autre jeu).

Après le moment critique des §89 à 107, qui dénonçait la prétendue « sublimité » de la logique, les §108 à §133 vont maintenant caractériser plus « positivement » la conception wittgensteinienne de la philosophie : « description » et « ressouvenir » du langage ordinaire tel qu’il est.

La « philosophie » est à la fois la maladie et le remède : elle a des méthodes qui sont «  autant de thérapies différentes » (§133).

§108 : transition entre §89 – §107 et la suite

Dialogue entre « nous » (W2) et « je » (W1 / TLP).

Les concepts de « proposition » et de « langage » ne sont pas des « super-concepts » (Baker) disposant de « l’unité formelle » supposée par le TLP : ce sont des concepts « air de famille ».

Cela semble éliminer la « logique », dans la mesure où celle-ci est conçue comme rigoureuse, strictement définie, ayant la « pureté du cristal », etc.

Cf. sur ce point les §101-107.

Il faut une conversion du regard, un renversement de perspective.

La philosophie de la logique concerne le langage quotidien.

« nous parlons du langage comme nous parlerions des pièces du jeu d’échecs, en donnant les règles du jeu qui concernent ces pièces, et non en décrivant leurs propriétés physiques. La question : « Qu’est-ce en vérité qu’un mot ? » est analogue à celle-ci : « Qu’est-ce qu’une pièce du jeu d’échecs ?  »

Analogie mots / pièces du jeu d’échec

Il ne s’agit pas de décrire les « propriétés physiques » des pièces du jeu : ce qui est pertinent c’est de décrire les « règles » qui les gouvernent, leur usage, non leur matière, leur forme, etc. ; ce qui les définit ce sont leur rôles dans une activité (dans un jeu de langage).

§109 – §121 : les « problèmes » philosophiques et la bonne approche à leur égard

§109 – §115 : les problèmes philosophiques et leurs causes

§109

Distinction philosophie / sciences : lire le début de la note de l’apparat critique (p. 335)

Pas de théorie, rien d’hypothétique

Bouveresse : « La philosophie, nous est-il dit, ne doit pas faire d’hypothèses ni proposer de théories. Ce n’est que dans les considérations scientifiques qu’il peut y avoir de l’hypothétique. Pour la science, une hypothèse n’est en principe pas autre chose qu’une question adressée sans idée préconçue à la réalité, alors que les « hypothèses » caractéristiques des philosophes sont en réalité des idées fixes. »

Distinction description / explication.

« une mise en ordre de ce qui est connu depuis longtemps » : ce qui a été appris (cf. plus loin : « amasser des souvenirs dans un but déterminé », §127).

« une appréhension du fonctionnement de notre langage qui doit en permettre la reconnaissance en dépit de la tendance qui nous pousse à mal le comprendre » : il y a bien un « obstacle épistémologique », que cherche à cerner les §109-115 ; le §125 parlera du fait que soyons « empêtrés dans nos règles »

« La philosophie est un combat contre l’ensorcellement de notre entendement par les ressources de notre langage. »

Bouveresse (in « Langage ordinaire et philosophie ») : « L’accès direct à une appréhension adéquate de ce fonctionnement est barré par des obstacles qui, comme nous l’avons vu, sont eux-mêmes linguistiques. Pour lever ce genre d’obstacles, il n’y a pas d’autre solution qu’un déracinement linguistique artificiellement provoqué : “ Le philosophe pense qu’il est forcé de regarder un concept d’une certaine façon. Mais je recherche, et j’invente au besoin, des façons différentes de le considérer. Je vous confronte à des éventualités auxquelles vous n’aviez pas encore songé. Vous pensiez que ces éventualités étaient en très petit nombre, qu’il en existait une ou deux peut-être. Je vous montre qu’il doit y en avoir d’autres. Je prouve, d’autre part, qu’il était absurde de prétendre que le concept devait se limiter à ces possibilités réduites. J’apaise ainsi cette sorte de crampe qui vous noue l’esprit, et vous pouvez examiner librement le domaine d’usage d’une expression, et en décrire les formes. ” (notes de cours) »

§110

Illusion, superstition (≠ erreur) : voir dans le langage et la pensée quelque chose « d’unique » et de « curieux » (cf. §93-95)

Il y a « problèmes » et « problèmes » : ceux dont parlent le §109 – qui sont le « but » de la philosophie conçue comme description correcte du langage ; ceux dont parlent les §110 et 111 – qui « proviennent d’une fausse interprétation des formes de notre langage » (§111).

Bouveresse : « formes de révérence superstitieuse envers certaines tournures de langage ».

Peut-être sont-ce au fond les mêmes : mais seule la philosophie grammaticale permet de les aborder correctement (sans superstition).

§111

Il y a une « profondeur » des problèmes philosophiques : il ne s’agit donc pas de les dénigrer.

Cf. Manuscrit 110 : « … la métaphysique considérée comme une sorte de magie. Mais je ne devrais ni parler en faveur de la magie, ni la tourner en dérision. Le caractère profond de la magie devrait être préservé. » (cité par D. Perrin, « L’exil et le retour », in Lire les Recherches philosophiques, 121).

Les inquiétudes philosophiques sont « profondes », à la fois au sens où elles sont « importantes » et profondément « enracinées » dans notre forme de vie.

Witz, mot d’esprit: lire note apparat critique p. 336.

L. Carroll : en disant « nous l’appelions Tortoise [espèce de tortue, de terre] parce qu’il nous l’avait appris [taught us] », on prétend que cette similitude de prononciation est une raison valable d’appeler une tortue « Tortoise ».

Certains « faits grammaticaux » nous impressionnent : ceci nous rend « philosophe » à la fois au sens négatif – malade – et positif – capable de guérison.

§112

« fausse apparence qui nous inquiète », issue d’ « une comparaison (Gleichnis) intégrée aux formes de notre langage » – « A simile that has been absorbed into the forms of our language », Anscombe)

Notre langage nous suggère parfois – à tort, mais avec force – certaines choses et idées, par comparaison, analogie, etc. : l’inquiétude nait en nous de ce que nous ne trouvons pas ce que notre langage semble pourtant imposer.

Cf. par ex. §36 : « Là où notre langage nous suggère qu’il y a un corps et qu’il n’y en a pas, nous aimerions dire qu’il y a un esprit. »

Cf. aussi ce que nous suggère les différents emplois du verbe « être », dont parlait déjà TLP, 3.323 :

Ainsi le mot « est » apparaît comme copule, comme signe d’égalité et comme expression de l’existence ; « exister » comme verbe intransitif, à la façon d’ « aller » ; « identique » comme adjectif qualificatif; nous parlons « de quelque chose », mais disons aussi que « quelque chose » arrive.

Plus loin dans les RP, on verra que l’expression de l’expérience intime, « privée », est une terrain privilégié pour ce type de confusions.

Bouveresse : « sentiment pénible d’une discordance intolérable », entre ce à quoi nous nous attendons et ce qui a lieu.

Cf. §326 : « Nous nous attendons à ceci et sommes surpris par cela »

Cf. §123 et 125 : égarement à l’intérieur de nos propres règles (nous sommes égarés chez nous).

§113

Tendance à rechercher l’essence : s’il n’en est pas ainsi, mais que le langage me suggère qu’il doit en être ainsi, alors je me mets à chercher quelque chose comme une essence cachée.

§114

Critique du TLP 4.5 (la « forme générale de la proposition »), comme relevant de ce type d’illusion.

Illusion : on prend pour un fait ce qui est le résultat de la projection de notre manière de l’envisager (fährt nur der Form entlang, durch die wir siebetrachtenthe frame through which we look at it)

cf. déjà le §104 : « Nous prédiquons de la chose ce qui réside dans le mode de représentation »

cf. aussi plus loin §131 : « une idée préconçue à laquelle la réalité devrait correspondre »

§115

Prisonniers d’une « image » (Bild, Picture) : cette image se trouve « dans notre langage qui semblait nous la répéter inexorablement » ; impossible donc d’y échapper.

§113-115 : idée de répétition (caractère obsessionnel de cette captivité, obnubilation).

§116 – §117 : retour à l’usage quotidien

§116

Critique de l’essentialisme des philosophes : ils négligent l’emploi effectif et diversifié des mots (leurs différents rôles dans différents jeux de langage). C’est comme s’ils jouaient aux dames avec des pièces d’échec.

Au contraire, « Nous reconduisons les mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien. »

Cf. le « sol raboteux » du §107.

Retour à l’ordinaire et au familier, qui nous est paradoxalement caché ou étranger : cf. §129.

§117

La signification comme « halo » transporté par le mot lui-même : idée déjà critiquée par le §97.

La signification n’appartient pas au mot (comme son essence) mais est produite par les circonstances particulières de son emploi effectif, le contexte d’un usage.

« ceci est ici » : purement contextuel.

Cf. §514 : « je suis ici » n’a de sens que contextuellement.

§118 – §119 : les résultats de la philosophie

§118

Est-ce encore de la philosophie ? Purement négative ? Quels résultats ?

A quoi ça sert ?

Bouveresse : « En quoi la cartographie de notre territoire linguistique, aussi complète et aussi exacte qu’on voudra, peut-elle contribuer à l’apaisement de nos inquiétude7s philosophiques ? »

« ce sont seulement des châteaux de sable » (Luftgebäude, bâtiment d’air) qui sont détruits, et cela permet de « découvrir » le fondement du langage (résultat).

Des « idoles » (cf. Nietzsche) : « À confronter au passage suivant du Big Typescript : « (Tout ce que peut faire la philosophie, c’est de détruire les idoles. Et cela veut dire ne pas en forger une nouvelle, “l’absence d’idole”, par exemple) » (in Philosophica I, p. 24). »

§119

« Les résultats de la philosophie consistent dans la découverte d’un quelconque simple non-sens, et dans les bosses que l’entendement s’est faites en se cognant contre les limites du langage. Ce sont ces bosses qui nous font reconnaître la valeur de cette découverte. »

Cf. aussi Grammaire philosophique, I, § 77 :

«  En philosophie, nous ne pouvons pas atteindre une plus grande généralité que dans la vie ou dans les sciences. Ici (comme en mathématiques) nous laissons les choses en l’état.  »

D’où l’impression de sur-place et d’inutilité. Mais cette fois, les « choses en l’état » nous apparaissent pour ce qu’elles sont, et nous sommes libérés de nos inquiétudes et scrupules qui sont en fait des « malentendus » (§120).

§120 – §121 : une thérapie immanente

§120

Les questions philosophiques se rapportent à des mots, et il nous faut donc parler des mots avec des mots : cela justifie le retour au langage ordinaire, et d’ailleurs il n’y en a pas d’autre.

Le mot de « signification » lui-même est victime des illusions engendrées par le langage  – le philosophe s’interroge sur sa nature, et la conçoit alors comme un « halo » : pour y remédier, il faut et suffit de retourner à son emploi ordinaire, par ex. en tant que demande d’explication de son usage.

Cf. §43 :

« Pour une large classe des cas où il est utilisé — mais non pour tous —, le mot “signification” peut être expliqué de la façon suivante : La signification d’un mot est son emploi dans le langage.

Et l’on explique parfois la signification d’un nom en montrant le porteur de ce nom. »

§121

Pas de philosophie seconde, de 2e ordre : analogie avec l’orthographe.

Apparat critique à lire.

§122 – §125 : la « vue synoptique » vs l’égarement

§122 : la « vue synoptique » ( übersich )

« L’une des sources principales de nos incompréhensions est que nous n’avons pas une vue synoptique de l’emploi de nos mots. »

Bouveresse propose de traduire : « nous ne dominons pas du regard »

« übersich », « übersichtliche Darstellung » : apparaît pour la 1e fois dans les Remarques philosophique, §1 : «  L’octaèdre des couleurs est une représentation synoptique des règles grammaticales.  »

Connexions, maillons : « membres intermédiaires » (Bouveresse)

Bouveresse : « D’où la nécessité de parcourir de larges portions du paysage linguistique d’un bout à l’autre dans toutes les directions possibles, en repassant plusieurs fois par les mêmes points, afin de parvenir, par des esquisses successives, convenablement arrangées et maintes fois retaillées, à suggérer une représentation cartographique globale. »

Cf. RP, Préface:

« Et cela était évidemment lié à la nature même de la recherche ; car celle-ci nous contraint à parcourir en tous sens un vaste domaine de pensées. —— Les remarques philosophiques de ce livre sont, en quelque sorte, des esquisses de paysage nées de ces longs parcours compliqués.

Sans cesse les mêmes points, ou presque les mêmes, ont été abordés à nouveau à partir de directions différentes, et sans cesse de nouveaux tableaux ont été ébauchés »

Cf. §109 : « une mise en ordre de ce qui est connu depuis longtemps », c’est cela la « vue synoptique » visée par Wittgenstein.

Cf. déjà §92 : il s’agit de voir « dans l’essence quelque chose qui serait déjà offert à la vue et dont une mise en ordre permettrait d’avoir une vue synoptique »

§123 : au lieu de cela, sorte d’« égarement » philosophique

cf. déjà §112-113 : inquiétude, instabilité, contradiction apparente.

Et plus loin, §125 : « empêtrés dans nos règles »

Cf. aussi §194 : « Lorsque nous philosophons, nous ressemblons à des sauvages, à des primitifs qui entendent les modes d’expression d’hommes civilisés, les interprètent de travers, et tirent ensuite de leurs interprétations les conclusions les plus étranges. »

Bouveresse : « Croyant s’expatrier délibérément, le philosophe est en fait simplement quelqu’un qui a perdu son chemin dans son propre pays » (in « Langage ordinaire et philosophie »).

Granger : « dépaysement de la pensée » (110).

« Considérez, dit Wittgenstein, la géographie d’un pays pour lequel nous n’avons pas de carte ou sinon une carte en petits morceaux. La difficulté représentée par cette situation est la difficulté représentée par la philosophie : il n’y a pas de vue synoptique. Ici le pays dont nous parlons est le langage et la géographie la grammaire. Nous pouvons aller et venir sans aucun problème dans le pays, mais, lorsque nous sommes contraints de faire une carte, nous nous fourvoyons. » (notes de cours, citées par Bouveresse)

Le « philosophe » (c’est-à-dire en fait tout homme, car il s’agit là d’une tendance humaine) est perdu dans son propre langage.

Déjà, idée d’embrouillamini dans les Remarques philosophiques :

« Pourquoi la philosophie est-elle si compliquée ? Elle devrait pourtant être tout à fait simple. — La philosophie délie dans notre pensée les nœuds que nous y avons faits inconsidérément ; il lui faut donc faire des mouvements compliqués à proportion de la complication de ces nœuds mêmes. Quoique le résultat de la philosophie soit simple, sa méthode ne peut donc l’être pour y parvenir.

La complexité de la philosophie n’est pas celle de sa matière, mais celle des nœuds de notre entendement. » (I, 2.).

Ainsi la « philosophie » est à la fois la maladie et le remède : elle doit se guérir d’elle-même.

§124 – §125 : les mathématiques comme exemple d’égarement philosophique.

Portent en particulier sur les mathématiques, mais ont une portée générale.

§124

« décrire » : non pas « fonder », ni réorganiser, transformer, réformer (cf. plus loin le §130).

Ni non plus « expliquer », ni « déduire » (cf. plus haut et plus bas, §126)

Les mathématiques peuvent sembler engendrer parfois un « problème majeur de logique mathématique » : peut-être allusion au paradoxe de Russell (à propos de la théorie des ensembles de Cantor) ; pour W., il n’y a pas de problème « majeur » mais des problèmes mathématiques ordinaires (« comme n’importe quel autre »).

§125

Apparat critique : « À rapporter aux différents textes où Wittgenstein critique la notion même de “contradiction cachée” (par exemple, Cours sur les fondements des mathématiques, Cambridge 1939, Mauvezin, 1995, trad. fr. É. Rigal, cours XXI). »

Une contradiction est rencontrée en mathématique : la philosophie n’a pas à tenter de résoudre cette difficulté, ni par les mathématiques ni par la logique ; il s’agit plutôt de décrire ce qui y a conduit, l’état des mathématiques « avant la résolution de la contradiction ».

La contradiction est née d’une mauvaise appréhension des règles du jeu de langage mathématique (que nous avons nous-même établies) : tout en suivant ces règles, nous nous attendons à autre chose, nous supposons à tort que ceci devrait avoir lieu et cela non.

cf. §112-113 : « «  Il n’en est pourtant pas ainsi ! » — disons-nous. « Mais il doit pourtant en être ainsi !  » »

cf. §326 : « Nous nous attendons à ceci et sommes surpris par cela »

« Le fait que nous soyons empêtrés dans nos règles est ce que nous voulons comprendre, c’est-à-dire ce dont nous voulons avoir une vue synoptique. » : la philosophie doit permettre de comprendre ce qui nous plonge dans cet embarras, et ainsi de nous en libérer.

Le concept de « vouloir dire » présente la même tendance à produire de l’égarement : ce que nous disons nous paraît en contradiction avec ce que nous « voulions dire », c’est-à-dire ce que nous avions prévu ; un écart inquiétant mais fantasmatique semble se manifester.

« Le statut civil de la contradiction, ou son statut dans la société civile, tel est le problème philosophique. »

Statut ou état civil, par distinction avec « état naturel » ou « état de nature » : la contradiction nous inquiète, nous impressionne et nous effraie, car nous la considérons à tort comme relevant d’une sorte de nécessité naturelle, ou plutôt comme à la fois nécessaire et impossible.

Bouveresse : « C’est là, du point de vue de Wittgenstein, un comportement typique de philosophe : on se réfère à une sorte d’état naturel ou essentiel des mathématiques qui risque de se révéler tout à coup impossible, alors qu’il s’agit en réalité simplement de décrire leur « état civil » ou de leur en donner un. »

Retour à l’ordinaire, qui « laisse toutes choses en l’état » : pas de réforme, pas de transformation.

§126 – §133 : réapprendre à voir et pouvoir cesser de philosopher

§126 – §130 : « amasser des souvenirs »

§126

« On pourrait aussi appeler “philosophie” ce qui est possible avant toute nouvelle découverte et invention. »

A rapprocher du « avant » du paragraphe précédent.

§127

« amasser des souvenirs dans un but déterminé » : cf. §109 – « une mise en ordre de ce qui est connu depuis longtemps »

Déjà, Big Typescript : «  L’étude [das Lernen] de la philosophie est vraiment un ressouvenir [ein Rückerrinern]. Nous nous remémorons la façon dont nous avons effectivement employé les mots.  »

Bouveresse (ibid) : « Dans les ouvrages de sa seconde période, Wittgenstein s’applique, pour l’essentiel, à rappeler des faits qui montrent que la compréhension d’un mot ou d’une phrase n’implique pas nécessairement l’occurrence d’événements mentaux spécifiques dans le sujet, que l’utilisation d’un nom commun n’implique pas nécessairement l’existence d’une propriété commune, etc. Il est important de noter que cette procédure ne consiste pas à, exhiber des faits nouveaux, mais à remettre en mémoire des faits connus et aisément négligés, ce qui la distingue fondamentalement de toute espèce d’investigation scientifique. »

§128

« Voudrait-on poser des thèses en philosophie qu’on ne pourrait jamais les soumettre à la discussion, parce que tout le monde serait d’accord avec elles. »

cf. §599 : « En philosophie, on ne tire pas de conclusions. « Il doit pourtant en être ainsi ! » n’est pas une proposition philosophique. La philosophie établit seulement ce que chacun lui concède. »

§129

Il y a caché et caché : « Les aspects des choses les plus importants pour nous sont cachés du fait de leur simplicité et de leur banalité » ; c’est ce qu’il s’agit de voir, de réapprendre à voir.

§130 – §133 : les méthodes thérapeutiques de la philosophie

§130

Résistance de l’air : cf. §107

« Les jeux de langage se présentent plutôt comme des objets de comparaison [Vergleichsobjekte], qui doivent éclairer, au moyen de ressemblances et de dissemblances, les conditions qui sont celles de notre langage. »

Autrement dit, les jeux de langage peuvent permettre de substituer aux comparaisons illusoires dont parle le §112 d’autres comparaisons, plus éclairantes.

Cf. §132 : « nous mettrons constamment en évidence des différences que les formes habituelles de notre langage nous poussent à négliger »

Il ne s’agit en rien d’un projet de réglementation ou de réforme du langage.

Apparat critique : « Dans le TS 220, la phrase suivante apparaît entre la première et la seconde phrase : “ Cette conception mène à des distorsions (Nicod et Russell). ” »

Jean George Pierre Nicod (1er juin 1893 – 16 février 1924) est un philosophe, épistémologue et spécialiste de philosophie de la logique français (élève de Russell).

§131

L’apparat critique renvoie aux Remarques mêlées : «  Je veux dire : L’objet de comparaison, l’objet dont est tirée la façon de voir les choses, doit nous être indiqué […]. Faute de quoi, tout ce qui vaut pour le paradigme de la théorie, on le prétendra valable volens nolens également pour l’objet dont on fait la théorie, et l’on prétendra qu’“il doit toujours…” » (op. cit., p. 27). »

Thérapeutiques multiples

Cf. plus loin, RP, §255 : « La philosophie traite un problème comme on traite une maladie. »

§132

Une certaine « réforme » est possible, et parfois utile, ponctuellement.

Mais là il s’agit plutôt de revenir au langage « au travail » – donc dans ses emplois effectifs – et non quand il « tourne à vide » : un retour, une re-connaissance, une re-découverte, non un redressement.

Ce n’est pas le langage lui-même qui a besoin d’être corrigé ni soigné, mais notre rapport au langage.

§133

Il ne s’agit pas d’une réforme du langage.

La « clarté » est bien visée par la démarche, et même une clarté « totale » (en ce sens, il y a bien une sorte d’idéal qui est visé) : mais cette sorte d’idéal de perfection et de complétude ne concerne que le but de faire disparaître totalement les problèmes philosophiques (une guérison totale). 

Cependant, cette « totalité » elle-même doit être comprise de manière diversifiée et en un sens partielle : multiplicité des problèmes et des « solutions » qui consistent en fait dans la mise à l’écart des difficultés et inquiétudes philosophiques.

Etre capable de « cesser de philosopher » quand on le souhaite.