Les §89 à 107 prolongent et approfondissent la critique de la détermination du sens développée aux paragraphes 75 à 88.
A partir du §89, et jusqu’au §133, se développe une section portant sur la « philosophie » (Baker), c’est-à-dire à la fois critiquant les illusions et chimères philosophiques (y compris celles de l’auteur de TLP) et précisant le nouveau sens – « grammatical » et « thérapeutique » – ainsi que la nouvelle méthode que Wittgenstein entend lui donner.
Les §89-114 constituent un des passages les plus développés critiquant directement certaines thèses du TLP (§92-136), qui est mentionné explicitement aux §97 et 114.
D’où la forme très dialoguée du passage, entre deux et/ou plusieurs voix (W1, W2, Frege, Russell…).
En particulier sont visées la théorie de la proposition (le concept de « forme générale de la proposition ») et la « théorie picturale » du langage (isomorphisme proposition / pensée / monde).
Wittgenstein dénonce la « sublimité » ou « sublimation » logique (§89 et §94, tendance déjà évoquée au §38), la chasse aux « chimères » (§94), les « illusions grammaticales » et la véritable « superstition » qui en découle (§110).
Il y voit une tendance malheureuse et maladive de la philosophie, qui mérite d’être corrigée ou soignée par une nouvelle méthode philosophique.
Au contraire de cette perspective « sublime » – celle d’une sorte de ciel des Idées platonicien -, il faut retourner, redescendre au « sol raboteux », au quotidien, à l’usage ordinaire, au « banal », à la « description », à l’empirique.
cf. réflexions similaires dans Grammaire philosophique, VI
§89 – §94 : l’apparente « sublimité » de la logique
Ces paragraphes commencent à distinguer « logique » et « grammaire » : l’une et l’autre ont en commun la recherche de ce qui rend possible le langage, son fonctionnement et sa structure (son « essence », si l’on veut), mais leur point de vue et leur méthode diffèrent.
§89
Apparente « sublimité » de la logique : signification générale, fondement de toutes les sciences, explore l’essence des choses, le « fond » des choses, indifférence au contingent, au nouveau, à l’empirique et au causal (aux faits).
Le §38 avait déjà souligné la « tendance à sublimer — pourrait-on dire — la logique de notre langage », notamment dans la conception russellienne de la dénomination (et du « nom véritable »).
Citation des Confessions, XI, 14 : permet de mettre en lumière la différence entre questions scientifiques et questions philosophique / logiques / grammaticales.
Le Cahier bleu avait déjà décrit et qualifié cet embarras augustinien devant l’énigme de la définition du temps : cf. éd. anglaise p. 26 ; Tel, p.68-69 ; GF, p. 103-104. (à relire)
Les questionnements grammaticaux sont plus de l’ordre d’une forme de réminiscence.
Cf. plus loin §127 :
« Le travail du philosophe consiste à amasser des souvenirs dans un but déterminé. »
§90
La recherche logique donne l’impression qu’elle devrait permettre de « percer à jour les phénomènes », mais c’est qu’elle est dirigée sur les « possibilités » des phénomènes.
La recherche logique de Wittgenstein est rebaptisée : recherche « grammaticale ».
§91
La perspective grammaticale peut être facilement confondue avec la démarche logique sublimée.
Elle ressemble à une « analyse » voire une analyse « ultime » et unitaire / unique : cf. la critique de l’analyse logique menée aux §59-64.
Elle donne l’impression que le langage courant cache quelque chose qu’il faudrait percer à jour ».
Elle donne l’impression de chercher « l’exactitude parfaite » cf. critique de l’exactitude absolue au §88.
§92
La recherche logique conçoit l’essence du langage comme « quelque chose qui se trouve sous la surface, quelque chose d’intérieur que nous voyons si nous pénétrons la chose du regard, et qu’une analyse doit exhumer » : une essence cachée, unique et éternelle (« la réponse à ces questions doit être donnée une fois pour toutes, indépendamment de toute expérience à venir »)
La recherche grammaticale cherche également, en un sens, l’essence du langage, mais elle conçoit celle-ci comme « quelque chose qui serait déjà offert à la vue et dont une mise en ordre permettrait d’avoir une vue synoptique », quelque chose d’apparent, à même les divers jeux de langage – à condition de regarder correctement.
Cf. RP, §371 : « L’essence est exprimée dans la grammaire. »
§93
La recherche grammaticale voit la proposition comme « la chose la plus banale du monde ».
La recherche logique la voit comme « une bien curieuse chose ».
Cette impression de curiosité est l’effet d’une « mécompréhension de la logique du langage ». Elle est précisée dans les paragraphes qui suivent : les propositions permettent d’exprimer miraculeusement nos pensées, de communiquer entre nous et de dépeindre le monde ; elles nous permettent de dire ce qui est et même ce qui n’est pas (§95) !
§94
Cette impression de curiosité est l’origine de la tendance à la sublimation, et elle nous lance « à la chasse aux chimères ».
Parmi ces chimères, celle d’un « pur être intermédiaire entre le signe propositionnel et les faits » : le sens – ou la pensée – comme étant une entité éthérée, un être immatériel entre les signes (les signifiants) et le monde. Le sens ainsi conçu est comme l’ « âme » de la proposition, dans une perspective « pneumatique » (cf. Grammaire philosophique, VI, 84).
Cf. plus loin, §109 : « La conception pneumatique de la pensée » (pneuma souffle, esprit en grec).
Déjà le Cahier bleu (p. 32 éd. anglaise ; Tel, 76-77 ; GF, 115) : la pensée, le sens conçus comme « l’ombre » d’un fait.
§95 – §97 : l’apparente « étrangeté » de la pensée
Quand on s’interroge dessus, la pensée nous apparaît comme un mystérieux pouvoir de saisir la réalité.
§95
Correction de la traduction française : « nous ne nous arrêtons pas quelque part avant le fait », « nous n’en restons pas en deçà du fait »
Même étrangeté apparente de la notion de « penser » (Denken) : ça doit être « quelque chose d’unique ! »
Denken (penser) est ensuite remplacé par Meinen (vouloir-dire, signifier).
« unique », au sens d’à part, d’extraordinaire : cf. §110 (« superstition »).
A la fois truisme et paradoxe : penser, c’est penser le fait tel qu’il est (ce qui est le cas), mais nous pouvons aussi le penser tel qu’il n’est pas (penser ce qui n’est pas le cas).
Allusion au TLP, notamment 4.5 : « La forme générale de la proposition est : ce qui a lieu est ainsi et ainsi. »
Mais comment est-ce donc possible ?
Le §428 reviendra sur cette apparente « étrangeté » de la pensée :
« La pensée, cette chose étrange » — mais elle ne nous paraît pourtant pas étrange quand nous pensons. La pensée ne nous paraît pas mystérieuse pendant que nous pensons, mais seulement si nous disons rétrospectivement : « Comment cela était-il possible ? » Comment était-il possible que la pensée ait eu affaire à cet objet lui-même ? Il nous semble que nous avons, par son moyen, capturé la réalité. »
Cette impression d’étrangeté provient de l’idée que par la pensée nous parvenons à « capturer » la réalité, nous touchons les choses « elles-mêmes » : nous ne restons pas « en deçà du fait », nous le saisissons tel qu’il est, nous le rencontrons ou l’atteignons.
Les §105 et 106 de la Grammaire philosophique développent davantage cet apparent mystère : lire quelques passages.
La proposition pensée : « rassemble les objets dans l’esprit », « contient la réalité », « en elle nous saisissons la réalité », quand je pense ou parle au futur « je suis dans l’avenir ».
Le §106 compare cet apparent mystère à l’impression tout aussi mystérieuse que nous pouvons avoir lorsque nous parlons des nombre entiers : la suite infinie des nombres cardinaux paraît se trouver déjà d’emblée devant notre regard.
Cette impression illusoire ne nait que lorsque nous nous interrogeons rétrospectivement sur elle, sur ce qu’elle parvient à faire et ce qui la rend possible, pas quand nous l’exerçons : de même que le temps ne devient mystérieux pour Augustin que lorsqu’on lui demande de dire ce que c’est (quand on ne lui demande pas, il le sait).
Par le langage, nous parvenons à énoncer / penser ce qui n’est pas ou plus (le cas). Et lorsque nous interrogeons sur cette performance, lorsque nous pensons à cette pensée, nous nous étonnons : comme Augustin lorsque celui-ci s’étonne que l’on puisse dire quelque chose à propos du passé et du futur, qui l’un et l’autre ne sont rien.
§96 : illusions corollaires
La conception « picturale » et isomorphique du langage, de la pensée et du monde, qui était celle de Wittgenstein dans le TLP est ici clairement visée:« La pensée, le langage, nous apparaissent alors comme l’unique corrélat du monde, comme son image. Les concepts de proposition, de langage, de pensée, de monde sont alignés les uns à la suite des autres, et ils sont tous équivalents. »
En effet, pour le TLP, la pensée est « l’image logique des faits », elle « contient la possibilité des situations », et la proposition (les signes du langage) en est l’expression sensible :
3 – L’image logique des faits est la pensée.
3.02 – La pensée contient la possibilité des situations qu’elle pense. Ce qui est pensable est aussi possible.
3.1 – Dans la proposition la pensée s’exprime pour la perception sensible.
Mais ces mots – proposition, langage, pensée, monde – n’ont en fait pas vraiment d’usage : « Il manque le jeu de langage auquel les appliquer ».
Déjà le TLP les « dénonçait » comme des concepts « formels » (4.126-4.128) – par distinction d’avec les concepts matériels ou proprement dit : chaise, table, rouge, etc. –, des pseudo-concepts donnant lieu à de pseudo-propositions, vides de sens : relevant de ce qui ne peut être dit, et doit donc être tu (TLP, 7).
§97 : le nimbe du langage
Métaphore du nimbe : halo lumineux saint.
L’ordre de la logique, elle-même essence de la pensée et du langage, doit correspondre ou s’identifier à l’ordre a priori du monde : « l’ordre des possibilités, qui doit être commun au monde et à la pensée »
Il est conçu comme simple, a priori, pur, certain, définitif, éternel : comme du cristal pur, et en même temps « le plus dur », au sens du plus concret.
Référence à TLP 5.5563 :
5.5563 – Toutes les propositions de notre langue usuelle sont en fait, telles qu’elles sont, ordonnées de façon logiquement parfaite.
La chose excessivement simple qu’il nous faut offrir ici n’est pas une ressemblance métaphorique de la vérité, mais la vérité même dans sa totalité.
(Nos problèmes ne sont pas abstraits, mais au contraire peut-être les plus concrets qui soient.)
Ainsi, l’essence du langage nous apparaît comme « incomparable », d’une illusoire grandeur : « un ordre supérieurexistant entre des concepts — pour ainsi dire — supérieurs »
Sublimation indue des mots de « langage », « expérience », « pensée », « monde », dont l’usage – s’ils en ont un – devrait être ramené à l’usage modeste des mots « table », « lampe », « porte » (concepts matériels).
Cf. aussi MS 157 b (manuscrit de 1937, cité par Baker, 504) : « L’idée que, d’une certaine manière, la logique montre l’essence du monde doit disparaître. L’a priori doit devenir une forme de représentation [Form der Darstellung]. Ce qui veut dire qu’il faut aussi ôter son nimbe à ce concept. »
§98 – §100 : ordre, perfection et détermination du sens
§98
D’un côté, « il est clair » que la pratique du langage ordinaire nous satisfait, qu’elle est « en ordre » – ceci est vrai : en ce sens, « nous n’aspirons pas à un idéal », nous ne désirons pas construire un « langage parfait ».
De l’autre, « il nous semble clair » que cet ordre doit être parfait (pour qu’il y ait sens) : ceci une illusion, une exigence illusoire.
En réalité: le vague du langage ordinaire n’entame pas sa « perfection » logique, et la construction d’un langage idéal (comme le symbolisme russellien) n’est pas nécessaire (elle est seulement utile dans certains cas particuliers).
Allusion au TLP déjà cité : « Toutes les propositions de notre langue usuelle sont en fait, telles qu’elles sont, ordonnées de façon logiquement parfaite. »
L’enjeu est de comprendre cette perfection autrement qu’en termes de précision, de détermination du sens.
§99
Ouverture et détermination du sens : qu’une proposition ait un sens déterminé tout en laissant ouverte, en partie, sa signification, voilà ce qu’il s’agit de comprendre.
Objection : Une détermination ouverte, est-ce encore une détermination ? Une clôture avec un trou, est-ce encore une clôture ?
L’objection avait déjà été soulevée – et repoussée – au §71 : « Frege compare le concept à une circonscription, et il dit qu’une circonscription non clairement délimitée ne peut en aucune façon être nommée “circonscription” »
Une clôture avec un trou, est-ce encore une clôture ? Et pourquoi pas ?
Une clôture avec un trou est davantage clôturée que si elle avait par ex. deux ou plusieurs trous : autrement dit, la détermination peut être conçue de manière relative.
Les Carnets énonçaient déjà quelque chose de cette paradoxale incomplète complétude du sens des propositions :
« Si une proposition nous dit quelque chose, il faut qu’elle soit, telle qu’elle est, une image de la réalité, et même une image complète. Il y aura naturellement aussi quelque chose qu’elle ne dit pas, — mais ce qu’elle dit, elle le dit complètement, et il faut qu’une délimitation précise en soit possible » (16/6/15)
« (…) si dans la proposition des possibilités sont laissées ouvertes, il faut que justement soit déterminé ce qui est laissé ouvert. » (17/6/15)
Mais les Carnets, tout comme le TLP, en restaient nettement au principe – voire au dogme – frégéen de la détermination du sens (cf. par ex. TLP 3.23 : « Requérir la possibilité des signes simples, c’est requérir la détermination du sens. »)
Cette exigence du sens déterminé ou complet signifiait alors que toute proposition (élémentaire) douées de sens doit décrire un fait possible, dont l’existence ou la non-existence la rendrait vraie ou fausse.
Désormais, pour le W. des Recherches, est « remis en cause le caractère défini et définitif de ce qui est dit par une proposition, c’est-à-dire l’idée même que le sens d’une proposition, ses conditions de vérité, peuvent être énoncés, explicités a priori, hors de tout contexte d’usage. (…) rien n’est dit tant qu’un contexte ne donne pas un sens à ce qui est dit. » (Céline Vautrin, « Une proposition, la chose… », in Lire les recherches philosophiques, 111).
Cf. aussi le §117 : « Comme si la signification était un halo que le mot portait avec lui et transportait dans tous ses emplois »
« L’abandon du caractère déterminé du sens ne veut pas dire qu’on ne sait jamais au fond de quoi on parle, mais qu’on ne dit jamais quelque chose que dans un contexte déterminé. Ce n’est pas en tant que représentation d’un fait quelconque qu’une phrase a un sens (conception pneumatique du sens), mais en tant que coup dans un jeu de langage (RP, §22). » (Céline Vautrin, « Une proposition, la chose… », in Lire les recherches philosophiques, 111-112)
« La distinction entre sens et non-sens, à laquelle Wittgenstein fait toujours appel pour mettre en évidence le caractère absurde de certaines phrases, ne repose plus, comme dans le Tractatus, sur une définition a priori de ce que signifie le fait d’être doué de sens. Dire qu’une phrase a un sens, c’est simplement, désormais, dire qu’elle fonctionne, qu’elle a un rôle dans un jeu de langage déterminé. » (Céline Vautrin, « Une proposition, la chose… », in Lire les recherches philosophiques, 115).
§100
Retour à l’analogie du jeu et à la souplesse des règles.
Le §68 – repris par les §83 et 84 – avait souligné qu’aucun jeu n’est « délimité, sous tous rapports, par des règles » : par ex. aucune règle ne détermine au tennis la hauteur ni la force auxquelles on est autorisé à lancer la balle.
Il arrive même que ces règles s’inventent et se modifient en cours de route : les règles sont en ce sens immanentes à leur mise en œuvre.
De même, les §79 à 81 avaient montré que le langage n’est pas un calcul selon des règles strictes.
Pour autant, cette indétermination, cette incomplétude des règles n’empêche pas de jouer ni de considérer qu’il s’agit d’un jeu. Et il serait absurde d’objecter qu’il s’agit d’un jeu imparfait.
Nous sommes aveuglés par l’idéal de perfection, qui souffre ici d’une « méprise », d’une mécompréhension : l’idéal d’un jeu parfait – entièrement déterminé par des règles – n’a pas de sens ; cette perfection idéale ne constitue pas un paradigme pertinent pour parler des jeux.
§101 – §107 : aveuglement de l’idéal de perfection
Les §101 à 104 décrivent le mécanisme de production de l’illusion, de l’aveuglement engendré par l’idéal de perfection logique.
§101
La logique nous semble a priori exclure l’idée de vague : nous partons du principe, nous postulons que la logique doit être parfaite, « pure », c’est-à-dire strictement déterminée.
Cet idéal est ensuite projeté sur la réalité (et non l’inverse) : sur le langage, sur le sens, et sur le monde. Nous ne voyons pas comment ni où se trouve cette détermination stricte (par ex. nous ne pouvons désigner aucun objet simple), nous ne comprenons pas quel est le genre de « nécessité » qui s’exprime ici, mais nous croyons que cet idéal doit se trouver dans la réalité car « nous croyons déjà le voir en elle ».
Cet idéal est une exigence a priori, non un constat, ni la conséquence d’un raisonnement (une inférence), comme le dira le §107 : « la pureté de cristal de la logique n’était pas un résultat auquel je serais parvenu, mais une exigence. »
§102
Les règles logiques, conçues comme claires et rigoureuses, nous semblent à la fois nécessairement présentes et cependant cachées : cachées dans le medium de la compréhension (cf. le « pur être intermédiaire » du §94, cf. aussi §92), à « l’arrière-plan » du langage, sous la surface.
Pourtant, il apparaît que « des signes fonctionnent, sans qu’on puisse leur supposer une “ structure logique ”, sans qu’ils représentent un fait quelconque » (Céline Vautrin, « Une proposition, la chose… », in Lire les recherches philosophiques, 109).
§103
L’idéal est conçu comme « fixe et inébranlable » : indépassable, insurmontable, sans dehors.
Illusion : l’idéal est comparable à des lunettes dont n’avons pas conscience ; nous voyons tout à travers elles, et nous ne songeons pas à les enlever.
§104
« Nous prédiquons de la chose ce qui réside dans le mode de représentation » : nous projetons la structure du mode de représentation – la grammaire d’un jeu de langage, les « lunettes » – sur la réalité ; les prétendues structures de la réalité sont les ombres projetées de la grammaire qui nous sert à la représenter.
Ici, plus particulièrement, nous projetons l’idéal de pureté logique sur le langage réel.
Note de W. à propos de l’eau « pure » (distillée) chez Faraday : cf. apparat critique, p. 335.
Et nous généralisons nos conclusions : ainsi le TLP posait une « forme générale de la proposition » (4.5), et la proposition 5.4711 allait jusqu’à affirmer : « Poser l’essence de la proposition, c’est poser l’essence de toute description, par conséquent l’essence du monde. »
A la place d’une « forme générale de la proposition », le §108 parlera de « famille » :
« Nous reconnaissons que ce que nous nommons “proposition”, “langage” n’est pas l’unité formelle que j’avais imaginée, mais une famille de formations plus ou moins apparentées entre elles ». (nous / je)
Le §114 y reviendra :
« Tractatus logico-philosophicus (4.5) : “ La forme générale de la proposition est : Il en est ainsi et ainsi. ” — C’est le genre de proposition que l’on se répète un nombre incalculable de fois. On croit suivre encore et toujours le cours de la nature, et on ne fait que suivre la forme à travers laquelle nous la considérons. »
Et le §115 dénoncera cette sorte d’illusion d’optique qui était celle du W1 du TLP :
« Une image nous tenait captifs. Et nous ne pouvions lui échapper, car elle se trouvait dans notre langage qui semblait nous la répéter inexorablement. »
§105
Ce besoin d’idéal, de « cristal pur », de signe « authentique », nous rend insatisfait à l’égard du langage réel, ordinaire : car, effectivement, on ne l’y trouve pas.
Aucun « mot », aucune «proposition », aucun « signe » au sens courant n’a la pureté ni la netteté de ce que fixe l’idéal ; et du coup, nous cherchons en vain le « signe authentique », le « nom véritable » correspondant à l’objet absolument simple (cf. dans le §38 l’allusion à Russell), la proposition élémentaire, etc. Et, ne le trouvant pas dans le langage, avons tendance à l’identifier avec un processus mental (corrélat psychique du signe physique).
§106
Maladie : noyade, toile d’araignée déchirée irréparable…
On peut penser que la toile d’araignée déchirée est ici l’analogue du langage ordinaire tel que le philosophe aveuglé par l’idéal le voit – déchiré – et tente de le corriger, de le réparer (en vain.
Remède : « nous devons en rester aux choses de la pensée quotidienne », et prendre les mots tels que nous les utilisons dans le langage ordinaire.
Cf. §116 : « Nous reconduisons les mots de leur usage métaphysique à leur usage quotidien. »
§107
Conclut la séquence débutée au §89.
Ecart grandissant entre le langage réel (examiné) et l’exigence indue que nous avons à son égard : « les fonctionnements du langage ordinaire ne correspondent pas au moule [lit] de Procuste qui lui a été préparé. Ils doivent être décrits tels qu’ils sont, sans les préconceptions d’une théorie qui dicte comment ils doivent être. » (Baker, 515)
La pureté logique et la stricte détermination du sens n’étaient pas des résultats mais bien une exigence a priori, présupposée, un « préjugé » (§108).
Conflit intolérable et qui vide l’exigence de son contenu : l’idéalisation est telle qu’elle interdit tout contact avec la réalité ; ne pouvant s’appliquer à aucun langage réel, elle tourne à vide, n’est la théorie de rien.
Fait écho au §81 : « notre logique était en quelque sorte une logique de l’espace vide »
Allusion à la Critique de la raison pure de Kant : « La colombe légère quand, dans son libre vol, elle fend l‘air dont elle sent la résistance, pourrait se représenter qu’elle réussirait encore bien mieux dans l’espace vide d’air. »
Mais la résistance de l’air est précisément une condition nécessaire de son vol.
Remède : « Revenons donc au sol raboteux ! »